Étiquette : Écrivain

  • La place de l’écrivain dans la chaîne du livre

    La place de l’écrivain dans la chaîne du livre

    Un article qui met à jour la place de l’auteur, en 2016.

    Car dans ce qu’il est convenu d’appeler « la chaîne du livre », tout le monde est professionnel, sauf l’écrivain. C’est bizarre, je vous l’accorde, mais c’est un fait. Éditeur, c’est une profession ; libraire, c’est une profession ; imprimeur, distributeur, bibliothécaire, c’est une profession. Écrivain, non. Ou alors, une profession de foi. Le genre de foi chevillée au corps.

    Camille Laurens

    ECRIVAIN, UNE PROFESSION DE FOI 

  • Les grains de sable

    Les grains de sable

    J’ai cru autrefois qu’il en était de la tâche écrite comme des autres besognes ; déposé l’outil, on s’écrie avec joie : « Fini ! » et on tape dans ses mains, d’où pleuvent les grains d’un sable qu’on a cru précieux… C’est alors que dans les figures qu’écrivent les grains de sable on lit les mots : « À suivre… »

    — Colette, Le Fanal bleu

    Je m’assois à ma table pour écrire, et au lieu de plonger dans le chapitre suivant, je relis les chapitres précédents et je décide bien sûr que tel paragraphe dans tel chapitre pourrait vraiment être amélioré ; je réécris donc la page, ce qui m’oblige parfois à réécrire la page suivante voir la précédente… J’introduis des ajouts, je cherche des synonymes parce que je trouve que dans telle page les mots ont tendance à se ressembler, je développe tel passage, je corrige la ponctuation — ma bête noire —, je rends la prose plus rythmée.

    Mes feuilles sont couvertes de gribouillis, de dessins, je transfère certains passages sur mon ordinateur pour y voir plus clair. Lorsque  je relève la tête, je m’aperçois que des heures ont passé ; je suis allée de la page 99 à la page 99 et demie, alors que je devrais être en train finir le dernier chapitre page 214.
    Je  regarde par la fenêtre le lapin qui fait la sieste en plein soleil, la faisane qui a gonflé ses plumes pour se tenir chaud, je rêve,  parfaitement heureuse, je relis les petits papiers qui décorent mon mur, mes anges gardiens ont toujours des mots qui me rassurent.

  • Je m’assois à mon bureau et…

    Je m’assois à mon bureau et…

    Sans me nommer écrivaine ou auteure, autrice, ou ce qu’on veut, je dis juste que j’écris, que je ne peux me passer d’écrire, depuis toujours, et que les mots de « cette » auteure font écho à mon propre ressenti de griffonneuse…

    Le secret de l’écrivain :
    ne pas attendre que d’autres apprécient ce que vous avez fait comme vous l’appréciez. Ne pas espérer que quiconque y perçoive les émotions que vous y avez investies. Une fois cela compris, tout ira bien. Le résultat n’est ni indifférence ni apathie – mais autonomie.

    Joyce Carol Oates

    Extraits du Journal 1973-1982

    de Joyce Carol Oates

    Une maison totalement silencieuse, dehors la neige, du soleil et un ciel d’un bleu vif, et mon esprit vagabondait librement…

     Joyce C. Oates

    Et il m’arrive d’écrire un peu dans la soirée. Mais généralement pas : je me contente de lire, de prendre des notes. Ce qui me permet de savoir que si j’avais un emploi réellement exigeant et que je travaille ainsi cinq jours par semaine, je n’écrirais probablement pas du tout.

    Pour de tels écrivains (j’espère être du nombre), l’influence la plus importante n’est pas la littérature, mais la vie même, et moins elle est familière, mieux c’est…

    Je n’ai pas envie de le poster. Je pourrais le travailler et le retravailler sans fin. Chaque page pourrait être développée, chaque scène dramatisée, de nouveaux passages introduits, des passages minuscules pleins d’amour – description, méditation, atmosphère, souvenirs…

    Je ne sais pas si je dois continuer à mettre l’essentiel de mon énergie dans mon écriture, ou si je dois « lâcher prise » – le talent artistique hautement conscient est-il une sorte d’égotisme… ou… est-il, en un sens, absence de moi ?

    « Perfection de la vie » ou « perfection de l’art » : une alternative qui n’est pas raisonnable. Il est sûrement possible d’avoir les deux. On peut essayer, en tout cas. Mais c’est l’art qui exerce la plus forte attraction…

    Il n’empêche qu’on doit laisser à une œuvre son autonomie.
    Les personnages revendiquent leur vie…

    J.Carol-Oates

    J’ai tendance à la paresse… Lire, marcher, regarder par la fenêtre. Debout de bonne heure ce matin, j’ai lu pendant que Ray dormait, assise sur le canapé près de la fenêtre de la terrasse, distraite par les geais bleus, les tourterelles, le ciel bleu magnifique, j’ai rêvassé, paresseuse, parfaitement heureuse.


    « Seul et unique propriétaire. » Tout écrivain éprouve le désir de créer un monde fictif qui représente le monde « réel » en raccourci, en concentré, en poétique. Bellow crée ainsi son Chicago, qu’il appelle « Chicago » mais qui est néanmoins le Chicago de Bellow (et pas celui de Nelson Algren ni de Studs Terkel). Le New York de Philip Roth lui appartient en propre, au même titre que les paysages intérieurs de Beckett. Sans cela, l’art n’aurait guère d’attrait : ce serait du simple reportage.

    […] les premiers sont écrits à la main. Couverts de gribouillis, de dessins, barrés à mesure que je transfère certains passages de mes notes à un autre brouillon plus officiel. Le saut entre les notes et le premier jet est si considérable que quelque chose serait perdu de toute façon. Et le saut entre le premier et le dernier jet est également immense. Ce qui se passe sur le papier est si insignifiant comparé à ce qui se passe dans le cerveau que l’accumulation des brouillons de travail ne ferait que dérouter quiconque les étudierait…

    Un journal comme un travail de prise
    de conscience.

    Le défi : noter, sans falsifier, minimiser ni « dramatiser », les processus extraordinairement subtils par lesquels le réel est rendu plus intensément réel par l’entremise du langage. C’est-à-dire par l’entremise de l’art.

    De temps à autre, un rêve/une vision profonde, vraiment alarmante, franchit la barrière et nous contraint à reconnaître la présence d’une force plus grande que nous, contenue on ne sait comment dans notre conscience.


    S’occuper » est le remède à tous les maux en Amérique. C’est aussi par ce moyen que l’on détruit l’élan créateur.

    Dommage que noter des événements essentiellement heureux donne, dans un journal, une impression d’auto congratulation.
    L’artiste doit trouver un environnement, un mode de vie, qui protégera son énergie : l’art doit être cultivé, doit avoir la priorité.
    Le lecteur d’un roman ne peut deviner à quel point le romancier est lui aussi un lecteur… un lecteur d’abord, puis un greffier. L’œuvre d’art travaille à se créer ; il faut seulement ne pas intervenir. La première règle de la médecine : ne pas faire de mal. Mais si c’est nécessaire, le faire avec grâce… !

  • Ce qui compte d’un écrivain…

    Ce qui compte d’un écrivain…

    Mais aujourd’hui, elle le sait, tout a changé dans le monde de l’édition. Un auteur ne vend plus sur son simple nom ; il doit se montrer, on veut entendre sa voix, écouter ce qu’il a à dire. Comme il est loin le temps où elle disait à son amie Foy que les écrivains devaient être lus mais jamais vus ni entendus.

    Extrait de « Manderley for ever » de Tatiana de Rosnay

    Ce qui compte d’un écrivain, on le trouve dans ses livres. C’est ce que l’on dit. C’est une hypocrisie de plus. Comme le fait remarquer Saul Bellow dans un essai sur l’amour-propre, les écrivains sont victimes des photographes qui leur imposent une représentation d’eux-mêmes qui en vient à être plus puissante que leurs mots.

    Notre instrument, le langage, est pris dans des filets invisibles, les mots ne répondent plus. Au « d’où tu parles » des années soixante-dix a succédé une interrogation qui lui ressemble mais est son exact contraire : ce qui compte n’est plus jamais ce qui est dit mais qui le dit. Qui parle ? Est-il, est-elle, célèbre, glamour, sexy, barbare ? Est-il, est-elle prodigieusement riche, ou extrêmement pauvre ? Est-il, est-elle, totalement désespéré, infirme, handicapé, obèse, suicidaire ? A-t-elle eu dix mille amants, escaladé sept cents sommets par la face nord ?

    Extrait de « la marche du cavalier » de Geneviève Brisac

    C’est hélas de plus en plus juste ! Et pour les femmes la pression est encore plus forte que pour les hommes. Si on a vu le filet va t-on réussir à passer entre ses mailles ?

  • La volière aux enfants

    La volière aux enfants

    Que l’air, la lumière, la gaieté circulent à grands flots dans vos classes. Que poussent les rosiers, les liserons, les haricots, qu’importe ! Pourvu que l’école soit entourée d’un jardin, qui sera le lieu de mille leçons de choses, il ne faut pas amuser les enfants, il faut les intéresser. Il y a quelque chose d’irréductible au fond de tout être humain, contre laquelle l’éducation ne peut rien, c’est ce qui fait l’individualité. L’enfance ne devrait être que le moment privilégié où l’on acquiert tout ce qu’il faut pour soi-même afin de devenir un homme, ou une femme, libre, responsable et autonome. Révélez à l’enfant ce qui en lui ne se laisse ni éduquer ni former, soyez plus que des éducateurs, soyez des libérateurs !

    — Marie Pape- Carpantier

    La volière aux enfants

    Cet émouvant plaidoyer en faveur d’une éducation humaniste fut prononcé, en 1867, par Marie Pape-Carpantier, lors de la conférence qu’elle donna à la Sorbonne aux futurs instituteurs du pays. Longtemps méconnue, elle a pourtant joué un rôle essentiel dans l’histoire de l’éducation de notre pays, elle est considérée aujourd’hui comme la fondatrice de l’école maternelle.

    Si vous n’avez pas vu le film intitulé « La volière aux enfants » d’olivier Guignard, guettez sa rediffusion. Un très beau film sur la naissance de l’ancêtre de nos écoles maternelles, qui se nommaient à l’époque les « salles d’asile ». La comédienne Marilou Berry est très juste et très touchante dans le remarquable rôle de Marie Pape-Carpantier. Je ne connaissais pas cette femme, c’est une belle découverte, j’aurais bien aimé entendre parler d’elle durant mes années scolaires, il y a tant de figures d’hommes sur les livres d’école…
    Oubli ? Cet oubli injuste en dit long sur un système éducatif qui fonctionne mal aujourd’hui, qui ne se renouvelle pas, qui s’est à nouveau laissé envahir par les religions. Finalement cette femme est beaucoup plus moderne que certains d’entre nous aujourd’hui. Un film qui fait du bien.

    Résumé
    En 1835, l’État met en place dans certaines villes de France des garderies pour faire face au nombre croissant de jeunes enfants livrés à eux-mêmes. Marie Carpantier, une jeune femme qui rêve de devenir poète, est choisie pour diriger une de ses « salles d’asile » à La Flèche, dans la Sarthe.

    Marie est d’abord réticente, les enfants sont sales et indisciplinés, les parents se montrent rétifs. Marie est vite découragée mais elle est soutenue par un conseiller municipal qui a une grande confiance en elle et l’envoie à la rencontre d’un homme qui s’occupe d’une salle d’asile et qui va lui révéler sa vocation. Elle en a bien besoin à une époque où l’église et ses bigotes pleines de principes bourgeois et étriquées veulent lui barrer la route.

    Mais c’est sans compter sur le désir grandissant d’apprendre des enfants ainsi que sur celui de leurs parents qui veulent donner à leur progéniture une meilleure vie que la leur.  Grâce à eux et à sa ténacité Marie va trouver le courage nécessaire pour aller au bout de son projet.

    Marie Pape-Carpantier par Colette Cosnier.

    Marie cape Carpentier

    Marie Pape-Carpantier fait partie de ces femmes injustement oubliées alors qu’elle a joué un rôle fondamental dans l’enseignement. Surveillante d’une « salle d’asile » qui deviendra l’école maternelle, elle publie d’abord des poèmes qui sont remarqués par Lamartine et lui valent l’amitié de Marceline Desbordes-Valmore et de Béranger. Dans son premier ouvrage pédagogique elle en écrira une vingtaine, ainsi que des livres pour la jeunesse mais surtout, elle y révèle « le secret des bons instituteurs ». Le succès est tel qu’elle est nommée directrice de l’École normale maternelle créée par la Révolution de 1848.
    Elle va se battre pour que l’école des jeunes enfants soit plus qu’une garderie : amélioration matérielle de la classe, importance de la leçon de choses, de l’éveil, de la gymnastique.

    Ses livres vont remporter différents prix dont celui de l’Académie française et ils influeront sur la politique de l’époque. Marie Pape-Carpantier ne cessera de défendre une idée progressiste de l’enseignement tout en s’attachant à défendre la condition féminine : elle est la première femme à prendre la parole à la Sorbonne.
    Ses concepts très modernes pour son époque font d’elle dans un moment où l’école est en pleine interrogation une pédagogue à redécouvrir.

  • Sur la lecture

    Sur la lecture

    Nous ne pouvons recevoir la vérité de personne, nous devons la créer nous-mêmes.

    Nous sentons très bien que notre sagesse commence où celle de l’auteur finit, et nous voudrions qu’il nous donnât des réponses, quand tout ce qu’il peut faire est de nous donner des désirs. Et ces désirs, il ne peut les éveiller en nous qu’en nous faisant contempler la beauté suprême à laquelle le dernier effort de son art lui a permis d’atteindre.
    Mais par une loi singulière et d’ailleurs providentielle de l’optique des esprits (loi qui signifie peut-être que nous ne pouvons recevoir la vérité de personne, et que nous devons la créer nous-mêmes), ce qui est le terme de leur sagesse ne nous apparaît que comme le commencement de la nôtre, de sorte que c’est au moment où ils nous ont dit tout ce qu’ils pouvaient nous dire qu’ils font naître en nous le sentiment qu’ils ne nous ont encore rien dit.

    — Marcel Proust