HUMEUR du MOMENT
Flaubert croqué par Les frères Goncourt (extraits du Journal d’Edmond et Jules de Goncourt)
21 Avril 1861
Puis nous causons de la difficulté d’écrire une phrase et donner un rythme à sa phrase. Le rythme est un de nos goûts et de nos soins ; mais chez Flaubert, c’est une idolâtrie. Un livre, pour lui, est jugé par la lecture à haute voix : « Il n’a pas le rythme ! » S’il n’est pas coupé selon le jeu des poumons humains, il ne vaut rien. Et de sa voix vibrante, à l’emphase sonore qui balance des échos de bronze, il déclame en le chantant un morceau des Martyrs : « Est-ce rythmé cela ? C’est comme un duo de flûte et de violon… Et soyez sûr que tous les textes historiques restent parce qu’ils sont rythmés. Même dans la farce, voyez Molière dans Monsieur de Pourceaugnac ; et dans Le Malade Imaginaire, monsieur Purgon. » Et il récite, de sa voix de taureau, toute la scène.
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© L’illustration est de Gabrielle vincent
Lu quelque part dans une bio de Flaubert que ses premiers textes lui coulaient de la plume comme pluie d’octobre sur le bocage, dans un style très fleuri et facile. Louis Bouilhet l’a convaincu qu’il ne fallait pas écrire comme ça, et les manuscrits sont partis au feu.
Résultat : Flaubert a perdu sa faconde, s’est transformé en forçat souffreteux, biffeur et rageur, et (pire) en prosélyte de la souffrance d’écrire.
Résultat bis : il a raté une carrière d’auteur fécond, heureux et riche – sa première manière était semble-t-il dans le gout de l’époque.
Ter : il est un des premiers a fonder le mythe de l’auteur difficultueux qui clame sa douleur et la met en scène… ouvrant là une école de pénibles geignards qui fait encore florès.
(mais bon, j’aime bien Flaubert)
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La merveilleuse vie d’écrivain que Flaubert « forçat des lettres » aurait pu avoir si…dévoilée ici, je souris ! C’est vrai que j’apprends par votre plume l’épisode de Louis Bouilhet. Ce que j’aime dans ces anecdotes sur lui c’est sa manière de travailler sur les phrases quand il les lit à voix haute. Quand j’écris quelque chose je fais toujours cet exercice, pour sentir le rythme. C’est très efficace pour dénicher la lourdeur ou l’incompréhension. Et puis, j’avoue que j’aime les commentaires de Flaubert sur son travail, interminable, exigeant, ces travaux qui nous enlisent parfois pour des jours et des jours, c’est quelque chose qu’on peut ressentir dans l’isolement face au labeur harassant de l’écriture, même si on l’aime passionnément.
Marguerite Yourcenar a écrit à propos de Salammbô : « l’excellence du style fait tout accepter : on demeure ébahi devant ces phrases dont chacune est une pièce d’or ou de bronze pesant tout son poids, suspendue au fil quelque peu ténu de cette affabulation romanesque sur la fille d’Hamilcar ».
En tout cas merci pour votre commentaire éclairé et au plaisir de vous lire …
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