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  • Rosa candida

    Rosa candida

    d’Audur Ava Ólafsdóttir

    Roman traduit de l’islandais par Catherine Eyjólfsso

    Rosa candida

    Dans un Eden oublié du monde et gardé par des moines dont le Frère Thomas un moine cinéphile, « Lobbi » va trouver le sens de sa vie et nous emporter dans une douceur des jours et des nuits.

    J’ai adoré ce livre, tant aimé retrouver ce jeune homme le soir après ma journée et le suivre dans ses questionnements et son voyage. Mes jours se sont teintés durant cette lecture d’une aura d’une incroyable douceur. Mon rythme s’est ralenti et la vie m’est apparue différente. Comme s’il m’était offert de cheminer un court instant près d’un ange. Je ne peux que vous conseiller de le lire, dans le brouhaha incessant du monde, les mots et l’histoire d’ Audur Ava Ólafsdóttir sont une musique de l’âme qui réenchante la vie.

    sommet

    L’histoire commence en Islande, dans un paysage de laves couvertes de mousse. Arnljotur, appelé « Lobbi » va quitter sa maison de naissance ou vivent son frère jumeau autiste et son vieux père. Doué pour les études (son père ne manque jamais de lui rappeler)  il rêve d’une vie de jardinier.

    « Maman avait parfois l’idée, en pleine nuit d’été , de sortir travailler au jardin ou bricoler dans la serre. C’était comme si elle n’avait pas besoin de dormir comme tout le monde , surtout en été. Lorsque je rentrais la nuit, après une sortie avec les copains, maman était dans le parterre avec son seau en plastique rouge et ses gants de jardinage à fleurs roses, pendant que papa dormait sur ses deux oreilles. […] Maman me disait bonjour et me regardait comme si elle savait sur moi quelque chose dont je n’avais pas idée moi-même. »

    fontaine

    Sur le continent, dans un pays voisin, il y a une roseraie légendaire rattachée à un ermitage et qui ne demande qu’à être sauvée de l’abandon. Le frère Thomas a passé une annonce pour trouver un jardinier qui ferait revivre son éclat. Lobbi a répondu à son appel et nous le suivons dans son voyage vers cette roseraie.

    Dans ses bagages il a emporté deux ou trois boutures de Rosa candida, une passion qui le liait à sa mère…

    Dans la serre ou sa mère cultivait cette rose rare à huit pétales il aura vécu un instant d’amour éphémère mais profond.  

    Dans cette roseraie du continent qu’il rejoint après avoir traversé une très longue forêt et rencontré des personnages singuliers il va se retrouver face à un acte important de sa vie.  Ana et sa petite fille, le retrouveront là-bas …

    Je suis bien obligé de me demander comment deux personnes, qui ne se connaissent pas, ont pu faire pour fabriquer un enfant aussi divin dans des conditions aussi primitives et inadéquates que celles d’une serre. Il s’en faut de peu que je n’éprouve du remords. Plein de gens ont tout juste, se courtisent de manière constructive, accumulent peu à peu les biens du ménage, fondent un foyer, ont la maturité nécessaire pour résoudre leurs différends, paient leurs traites à échéance et n’arrivent quand même pas à fabriquer l’enfant dont ils rêvent.

    L'ange

    Ce jeune homme (le narrateur) ressemble à un ange et nous murmure une douceur de vivre difficile à quitter. Doux et attachant, affectueux avec ses roses et son enfant conçus dans une serre, Lobbi  vit avec une étrange plénitude, à l’image de sa mère, dans l’accueil simple et émouvant de la vie. Un  personnage masculin éloigné des clichés du héros mâle à la mode ( pour notre plus grand plaisir ).

    Le livre est un voyage  en forme d’initiation à la vie adulte dont « Lobbi » sortira plus ingénu que jamais. Mais cette façon si peu commune et si douce de traverser les remous de l’existence est comme un appel … on a envie de suivre ses pas et de ne plus les quitter…


    PRESSE

    Ce merveilleux roman, au héros plein de candeur qui s’initie petit à petit à la vie adulte, réussit ce que tout lecteur attend d’un livre, être mis en apesanteur quelque part à l’abri du temps qui passe, dans un état de parfaite innocence et de félicité.
    – Librairie L’Usage du monde


     Incontestable réussite littéraire, Rosa candida démontre qu’une grande subtilité s’énonce parfois simplement. Sa gourmandise de détails et de petits événements, dont la beauté aussitôt fanée nourrit la mémoire des personnages comme du lecteur, est contagieuse.
    Le Monde des livres

    EXTRAITS

    Est-ce qu’un homme élevé dans les profondeurs obscures de la forêt, où il faut se frayer un chemin au travers de multiples épaisseurs d’arbres pour aller mettre une lettre à la poste, peut comprendre ce que c’est que d’attendre pendant toute sa jeunesse qu’un seul arbre pousse ? » « Ma perception des passants en tant que corps me dérange et si je n’y mets pas bon ordre, elle pourrait m’empêcher d’avoir des relations normales avec les gens et d’apprendre leur idiome comme j’en ai l’intention. Je prends toutefois bien soin de ne heurter personne, car je ne saurais demander pardon dans cette nouvelle langue. Maman était d’ailleurs comme ça, tout axée sur le contact physique, elle me tenait toujours quelque part quand nous nous parlions. J’avais du mal à rester tranquille quand j’étais enfant, j’avais la bougeotte.

    Il y a des épilobes roses qui poussent, par-ci par-là, sur la grève de sable noir. Je trouve qu’il est important qu’une personne élevée au milieu de la forêt comprenne précisément cela, qu’une fleur puisse pousser ça et là, toute seule sur une dune de sable noir et parfois dans le canyon d’une rivière, toute seule là aussi. Dès que je nomme l’épilobe, je deviens un peu sentimental. Est-ce qu’on les cueille, ces fleurs-là ? » « Comment dit-on infini ? Si je pouvais dire infini, je pourrais mener la conversation vers des domaines abstraits. La comédienne me tend la perche.
    — Intemporel ?
    — Non, pas tout à fait.
    — Immortel ?
    — Oui, je crois, dis-je, immortel.
    — Cool, dit-elle.
    Il me vient alors à l’idée que je pourrais aussi évoquer l’effet d’imprimer dans la neige craquante les premiers pas du jour.


    — Rosa gallica, rosa mundi, rosa centrifolia, rosa hybrida, rosa multiflora, rosa candida, énumère frère Matthias. Tandis que je le parcours avec lui, « Le Merveilleux Jardin des Roses Célestes », tel qu’il est nommé dans les vieux livres, prend corps peu à peu dans mon esprit. Il va falloir commencer par arracher les mauvaises herbes et tailler les plantes — ce qui pourrait prendre deux semaines en travaillant dix heures par jour ; ensuite il faudra élaguer et planter à nouveau. Je choisis déjà un endroit abrité et ensoleillé pour la nouvelle espèce de rose que je vais ajouter. Elle ne sera peut-être pas très visible au début et ne fleurira pas tout de suite, mais ici sont justement réunies les conditions et la lumière pour qu’une nouvelle variété de rose inconnue se mette à pousser dans le terreau fertile.


    Audur Ava OLAFSDOTTIR

    Audur Ava Ólafsdóttir est née en 1958. Elle a fait des études d’histoire de l’art à Paris et a longtemps été maître-assistante d’histoire de l’art à l’Université d’Islande. Directrice du Musée de l’Université d’Islande, elle est très active dans la promotion de l’art. À ce titre, elle a donné de nombreuses conférences et organisé plusieurs expositions d’artistes.

    Rosa candida, traduit pour la première fois en français, est son troisième roman après Upphækkuð jörð (Terre relevée) en 1998, et Rigning í nóvember (l’Embellie, Zulma 2012) en 2004, qui a été couronné par le Prix de Littérature de la Ville de Reykjavík.

    Audur ava Olafsdottir

    Rosa candida a reçu en Islande deux prix littéraires : le Prix culturel DV de littérature 2008 et le Prix littéraire des femmes (Fjöruverðlaun). En France, il a été finaliste du Prix Fémina et du Grand Prix des lectrices de Elle. Il a reçu le Prix PAGE des libraires en France et le Prix des libraires au Québec.

    Ce roman a également été traduit en anglais, danois, allemand, néerlandais, espagnol. Il est en cours de traduction en tchèque, finnois et italien. Audur Ava Ólafsdóttir vit à Reykjavík. Elle vient de publier son dernier roman en Islande.


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  • Certaines n’avaient jamais vu la mer

    Certaines n’avaient jamais vu la mer

    de Julie Otsuka, traduit par Carine Chichereau, Phébus
    En ce qui concerne le Prix des lectrices, j’ai tout de même trouvé des moments pour lire quelques livres de la liste.

    L’extraordinaire histoire de l’émancipation des femmes japonaises, passant d’un statut féodal particulièrement contraignant à une vie épanouie de femme du XXe siècle »  été en grande partie le fait des journaux féministes du Japon dont le premier dut son existence à « une campagne menée vers 1920 afin d’obtenir pour les jeunes filles le droit de refuser un mari syplilitique.
    Cf. La presse féminine d’Evelyne Sullerot, collection Kiosque d’A.Colin.

     Qui n’aurait pas honte aujourd’hui de voir que les femmes ont dû se battre pour échapper à un sort aussi scandaleux ?

    Certaines n'avaient jamais vu la merJ’ai lu la moitié du livre de Julie Otsuka, « Certaines n’avaient jamais vu la mer ».
    Le « nous » impersonnel que l’auteure emploie pour parler de ces immigrantes japonaises qui débarquent aux Etats-Unis et le style qui ressemble à une longue et lancinante énumération ont eu raison de mon courage qui voulait aller jusqu’au point final. Je me suis arrêtée à la page 64, juste avant le chapitre « Naissances ».

    Je ne me permets pas de porter un jugement sur le destin terrible de ces femmes vendues et abandonnées, (destin Ô combien injuste et douloureux),  c’est la façon de traiter le sujet qui ne m’a pas convaincue. Faire parler un choeur de femmes était une idée lumineuse mais il manque à ce choeur un sentiment d’humanité. On est envahi par un flot incessant de paroles qui finit par lasser et rend invisible la plainte véritable de ces vies sacrifiées. Après quelques lignes les voix  se mélangent et s’annulent les unes les autres, la monotonie s’installe. Il aurait fallu une voix unique par-dessus ce choeur, une voix que l’on aurait suivi du début à la fin, une voix qui par moment aurait remplacé « le nombre » pour s’approcher du lecteur et lui murmurer sa solitude et sa grande détresse. Il manque à ce choeur son coryphée (celui qui conduisait le choeur dans les tragédies antiques). Choeur – Coryphée, l’un ne va pas sans l’autre, c’est l’alternance des deux qui donne toute la dimension aux tragédies. J’aurais aimé qu’une voix s’élève au-dessus des autres et nous guide dans cette énumération impersonnelle. Mais voilà, c’est un avis, juste mon avis et mon ressenti. Ce qui ne m’empêche pas d’avoir du respect pour l’auteur qui dénonce une atrocité de notre humanité.

    Biographie Julie Otsuka

    https://i0.wp.com/i39.servimg.com/u/f39/11/59/18/67/20022510.jpgJulie Otsuka est est une écrivain américaine d’origine japonaise née en 1962 en Californie. Elle vit à New York. Diplômée en art, elle abandonne une carrière de peintre pour l’écriture. Elle publie son premier roman en 2002, Quand l’empereur était un dieu largement inspiré de la vie de ses grands-parents ( l’ évocation des camps où 110.000 citoyens américains d’origine japonaise ont été internés aux Etats-Unis après l’attaque de Pearl Harbour ). Son deuxième roman, Certaines n’avaient jamais vu la mer a été considéré aux États-Unis, dès sa sortie, comme un chef-d’œuvre.

    Le livre – Au début du XIXe siècle, un bateau venu du Japon se dirige vers San Francisco. A son bord, des jeunes filles qui ont quitté leur pays pour rejoindre leur futur époux. Après une longue traversée, elles découvrent à la place des princes charmants dont elles rêvaient des paysans beaucoup moins séduisants que sur les photos qu’ils ont envoyées. Elles vont réaliser la manipulation dont elles ont été victimes mais trop tard car elles n’ont pas de billet de retour. Le rêve se transforme en cauchemar car les hommes rudes et brutaux les feront travailler sans relâche.

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  • Rencontre avec J.Kalman Stefansson

    Rencontre avec J.Kalman Stefansson

    Il s’est remis à neiger quand Ólafía les rejoint à grand-peine. Le ciel abrite une multitude de flocons. Voilà les larmes des anges, disent les Indiens au nord du Canada quand la neige tombe. Ici, il neige beaucoup et la tristesse du ciel est belle, elle est une couverture qui protège la terre du gel et illumine l’interminable hiver, mais elle peut aussi être froide et presque impitoyable.

    La tristesse des anges Actuellement en pleine lecture de « La tristesse des anges », deuxième volume de la trilogie, j’ai eu envie de faire un peu plus connaissance avec l’auteur J.K Stefansson. Je prends mon temps dans cette lecture, tant j’adore m’abreuver aux mots de cet écrivain poète. Entre le premier livre qui a laissé une empreinte éternelle sur ma vie « Entre ciel et terre » et celui que je lis maintenant, je me dis que j’ai trouvé l’auteur que j’attendais depuis longtemps. Il existe de nombreux questionnaires dans les groupes de lecture qui posent invariablement cette question : quels sont vos auteurs préférés ? Bien souvent je me suis dit que j’aurais du mal à répondre à une telle question, car je n’ai pas particulièrement d’auteur favori. Il y en a qui ont ma préférence mais ce sont plutôt les poètes. Aujourd’hui c’est différent, je pourrais répondre à la question en disant que l’un de mes auteurs préférés, celui qui déclenche en moi d’étranges rêves pendant que je le lis, celui à qui je trouve une humanité éblouissante, celui qui me fait voyager au cœur de la vie et de l’homme, c’est J.K Stefansson. Tout cela pour vous dire la raison qui m’a donné envie de faire cet article — collecter des informations sur un écrivain qui m’enchante.

    Ecoutez : Nous autres par Zoé Varier le vendredi de 20h à 21h

    Islande 1ère partie : entre terre et littérature – Rencontre avec Jon Kalman Stefansson –
    Ecoutez sur France-inter – L’émission du vendredi 2 décembre 2011 –

    Le poète qui écrivait des romans

    Propos recueillis à Paris en mars 2011,  par Mikaël Demets

    jon-kalman-stefanssonOn sent dans votre écriture une grande souplesse, comme si vous vous laissiez surprendre par ce que vous écriviez. C’est le cas ?

    Cela fait clairement partie de mon style. Je commence toujours à travailler avec un plan assez précis, mais dès que je me mets à écrire, quelque chose de nouveau me vient, quelque chose d’imprévu, que je n’aurais jamais pu imaginer. C’est là que mon écriture rejoint la poésie : je laisse la porte ouverte à l’inattendu. J’écris avec mon cœur, avec mes sentiments. Or mes sentiments changent tous les jours, évoluent selon mon humeur, les événements extérieurs… Finalement, qu’est-ce que la création, sinon cette part d’incertitude et de spontanéité ? Je n’aime pas cet aspect de la fiction qui voudrait que tout soit anticipé, calculé. Le lecteur le sentira, et il ne sera jamais touché, jamais surpris.

    Quelle fut la principale difficulté lors de l’écriture de Entre ciel et terre ?

    Écrire un roman historique m’a posé beaucoup de problèmes. Ce genre est très classique, très traditionnel, et souvent, les écrivains qui s’y collent sont obsédés par les faits, par l’Histoire. Du coup, leur personnalité tend à disparaître derrière tout ça. Je ne voulais surtout pas que cela m’arrive. J’ai donc attendu avant de me lancer dans l’écriture de ce livre, le temps d’avoir plus d’expérience, et une technique qui me permettrait de surmonter ce problème. Je me suis entraîné. Au final, je suis content d’avoir écrit un roman, et non pas un roman historique.

    http://laccoudoir.files.wordpress.com/2011/04/islande-tom-manoury.jpg

    Entre ciel et terre a beaucoup de connexions avec Le Paradis perdu de John Milton : l’un des personnages est fasciné par ce livre, vous réutilisez beaucoup de citations de Milton, et vous lui empruntez même vos titres de chapitres. Comment expliquez-vous le rapport étroit qui lie votre ouvrage avec le sien ?

    C’est venu tout seul, je ne l’ai pas vraiment décidé. A l’époque de l’écriture, je n’aurais pas su répondre à votre question : je sentais seulement que ce lien existait. J’avais un sentiment très fort qui me liait au Paradis perdu quand je travaillais sur Entre ciel et terre. Avec le recul, je pense que tout réside dans la double lecture que propose Le Paradis perdu. C’est d’abord un grand poème épique sur l’origine du monde, Adam et Eve, les débuts de l’humanité. Là où tout commence. Mais en même temps, et surtout, c’est une histoire d’amour. Simple et universelle. J’aime le balancement entre ces deux dimensions du texte. De plus, en Islande, la traduction de Milton par Jón Porláksson est d’une beauté extraordinaire, assez éloignée du poème originel, mais magnifique au point que la parution de cette version islandaise a été extrêmement importante pour notre littérature. Mais derrière ces raisons concrètes, il reste quelque chose d’indéfinissable : quand un écrivain emprunte des mots à un autre écrivain, il ne sait pas toujours l’expliquer. En tant qu’auteur, tu as les mots dans le sang, et lorsque tu écris, tu ressors tout ce que tu as à l’intérieur. C’est ainsi que Milton a surgi.

    La mer a une très grande importance dans votre roman, on pourrait presque la considérer comme le personnage principal. Faut-il y voir le reflet de l’importance qu’a l’océan pour les Islandais ?

    entre ciel et terre 200x300 RENCONTRE AVEC JON KALMAN STEFANSSON / Le poète qui écrivait des romansÊtre islandais, c’est ne pas avoir de voisins. Or vos voisins ont toujours une influence sur vous : l’Histoire de France est par exemple étroitement liée à l’Allemagne. Une partie de votre caractère a été forgée par cette relation. Mais en Islande, le voisin, c’est l’océan. Jusqu’à une époque récente, les Islandais n’étaient qu’un peuple de marins et de fermiers qui devaient sans cesse affronter ce monstre, portés par leurs fragiles embarcations. Quand on passe sa vie à lutter contre une force aussi immense et aussi puissance, cela marque forcément le caractère. En Islande, on ne peut pas échapper à la mer. Elle a imprégné notre mentalité.

    Votre écriture paraît très animiste. La nature ressemble à un corps convulsé. On dirait que vous avez calqué le rythme de votre récit sur celui de la nature.

    La vie est partout. Son cœur bat dans le vent, dans la neige, dans la mer.. Il y a un an, l’éruption du volcan islandais Eyjafjallajokull a paralysé la planète entière, alors que ça n’était qu’une toute petite éruption, un détail à l’échelle de la nature. Cet événement nous a remis à notre place, rappelant combien notre conception du monde était aberrante. Aujourd’hui nous ne jurons que par le dieu Technologie, nous croyons en lui, nous avons confiance en lui. Mais il suffit d’un petit sursaut de la nature et tout se détraque. Nous devons faire évoluer notre façon de penser et remettre la nature au cœur de notre vie. La plus grosse erreur de l’humanité consiste à tracer une ligne entre l’homme et la nature.

    On a finalement l’impression que Entre ciel et terre est un texte sur les frontières, ou plutôt le dépassement des frontières. Entre poésie et fiction, entre humanité et nature et entre vie et mort.

    Tout à fait. Ce livre mélange tout. Je ne crois pas aux frontières, de manière symbolique comme de manière très concrète. Les frontières reflètent un mode de pensée limité, fermé, qui nous rend étroits d’esprit. C’est un schéma qui engendre la haine, alimente l’incompréhension et l’ignorance. Naïvement, j’écris des livres pour changer le monde. Or l’un des principaux problèmes de ce monde réside dans cette conception étriquée du territoire et de la séparation avec l’autre.

    Comme pour matérialiser cette porosité des frontières, votre récit est raconté par des personnages mystérieux, qui semblent coincés entre la vie et la mort.

    Tout à fait. C’est un groupe de personnages qui a vraisemblablement vécu dans les temps où l’histoire s’est déroulée. Ils sont coincés quelque part entre vie et mort et ne savent pas pourquoi. Alors ils racontent l’histoire de l’orphelin et de Bárdur, en espérant que cela les aide à aller ailleurs. A mourir, enfin. En définitive, le plus grand pouvoir des hommes réside dans la parole : raconter des histoires, et surtout raconter des histoires sur le passé. Si l’on ne se souvient pas des jours passés, on n’apprend jamais rien. Les mots sont la seule chose qui nous distingue des animaux. On peut tout faire avec eux, changer la vie, changer le monde. Mais en même temps, arrive toujours un moment où ils sont impuissants. Les mots possèdent toute la terreur et toute la beauté du monde à la fois. C’est sans doute pour ça que j’en ai fait mon métier.

     

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  • L’eau et l’infini

    L’eau et l’infini

    On me demande dans quelle intention
    Je réside au sein des montagnes vertes
    Je souris et je ne réponds pas
    Mon esprit est tout naturellement tranquille
    Fleurs de pêcher
    Cours d’eau s’éloignant vers l’infini
    J’ai le ciel et la terre différemment
    Ils ne sont pas parmi les humains

    — Li Po (701-762)

    *Photographie à la une ©Marie an Avel