Il y a quelques jours, j’ai écouté une interview de Brigitte Giraud, l’autrice qui a écrit « Vivre vite » prix Goncourt 2022, elle parlait de son travail d’éditrice, à l’époque où elle était chez stock.
Ce qu’elle dit sur le rapport à la lecture me semble profondément juste. J’ai lu quelque chose d’assez similaire de J.M.G Le Clézio, qui était dans sa jeunesse lecteur dans une maison d’édition.
« C’est une expérience unique et magnifique, lire sur manuscrit, c’est à dire un texte qui n’est pas contextualisé, qui n’a pas le poids de la publication et notamment le nom de la maison d’édition chez qui il est publié. On le lit comme quelque chose d’absolument vierge, ça m’a appris à lire autrement et à faire une véritable expérience du rapport à quelque chose de l’ordre de la nudité ou de la crudité. »
Est-ce que les textes se sentiraient beaucoup mieux sans maison d’édition ?
« C’est une question qui est essentielle à mon avis. J’ai souvent pensé à cette chose là, de me dire comment les lecteurs, ou plutôt les professionnels que sont les libraires, mais que sont aussi les journalistes, aborderaient des textes sous une couverture blanche. C’est à dire qui n’est pas déjà désigné par un type de catalogue et donc de filiation proposée par une maison d’édition. Mais j’irai encore plus loin que cela. L’expérience la plus intense et la plus radicale de lecture, c’est celle aussi d’un texte qui ne serait pas marqué par le nom de son auteur, dont on ne saurait pas si c’est un premier roman ou si c’est le Xe roman d’un auteur qui est déjà très remarqué ou par la presse ou par les libraires ou par les lecteurs. Et c’est vrai que l’expérience de lecture est radicalement différente. »
Le livre est un objet culte et l’édition tire profit de son aura.
Cet article pour faire écho à une excellente série d’articles sur Marguerite Yourcenar, publiée sur Diacritik. Une femme, un écrivain que j’aime lire, que j’admire, pour de nombreuses raisons, pas seulement littéraires – son engagement pour la protection de l’environnement et la défense des animaux – J’aime la façon dont elle contrôle ses textes, leur interprétation, leur publication dans des revues littéraires ou des journaux.
La manière dont elle gère une possible adaptation au cinéma des « Mémoires d’Hadrien », elle dit l’intérêt qu’elle manifeste pour ce projet mais ajoute aussitôt : « Mais je tiendrais, bien entendu, à avoir le plus complet droit de regard sur le commentaire (qui, en pareil cas, est presque toujours l’écueil), comme aussi sur les œuvres d’art et paysages choisis, ainsi que sur le style de la production » – Beaucoup d’auteurs devraient avoir cette exigence aux vus d’adaptations peu en rapport avec le contenu de leurs livres. Et surtout elle ne cède pas aux exigences du marché, à la toute puissance de l’éditeur, à cette mise en scène de l’écrivain, ou alors c’est elle qui décide de son angle de vue. « Au point de dégoût et d’exaspération où j’en suis, le succès, et même la publication, m’importent bien moins que la liberté. » Nous avons beaucoup à apprendre d’ « Une volonté sans fléchissement ».
Le personnage de l’auteur, lui aussi, pourtant parfois décrié, reste un acteur de premier plan du culte porté au livre et de la mise en scène de l’édition par elle-même.
Dommage qu’elle ne soit plus là pour nous défendre. C’était une impitoyable critique littéraire qui poursuivait avec obstination et exigence son travail d’écriture et la défense de ses intérêts. Les auteurs ne vivent pas que d’eau fraîche, surtout qu’en ce moment la pluie se fait rare, toute publication doit être rémunérée : « Personne ne comprend mieux que moi les difficultés dans lesquelles se débat une jeune revue, et l’importance qu’il peut y avoir pour les auteurs à être publiés, même à titre bénévole, mais tout travail non rémunéré tend à obliger l’écrivain à faire ailleurs œuvre de littérature commerciale (ce qui le déclasse) ou encore à exercer pour vivre une autre profession (ce qui est parfois indispensable) et enfin, cela risque de faire la part trop belle au riche ou vaniteux amateur. »
Je sais bien que lorsqu’elle dit « exercer une autre profession pour vivre… enlève les forces et les loisirs nécessaires pour son œuvre propre » cela peut faire sourire beaucoup d’autrices, d’auteurs, tant vivre de ce travail est difficile. Mais n’est-ce-pas plutôt un état que nous acceptons et laissons perdurer sans manifester pour un autre statut, un autre état ? Il y a beaucoup à dire et à faire en ce qui concerne le domaine de la création.
Les figures idéalisées de l’auteur, du petit éditeur-artisan, du petit libraire oubliant d’être aussi un commerçant, gravitent autour de cette représentation pour maintenir l’édition et sa production en dehors du contexte qui est pourtant le leur aujourd’hui, celui des industries culturelles.
Écrire ! Pouvoir écrire ! Cela signifie la longue rêverie devant la feuille blanche, le griffonnage inconscient, les jeux de la plume qui tourne en rond autour d’une tache d’encre, qui mordille le mot imparfait, le griffe, le hérisse de fléchettes, l’orne d’antennes, de pattes, jusqu’à ce qu’il perde sa figure lisible de mot, mué en insecte fantastique, envolé en papillon fée…
Le véritable lieu de naissance est celui où l’on a porté pour la première fois un coup d’œil intelligent sur soi-même : mes premières patries ont été des livres.
Je suis un intellectuel. Ça m’agace qu’on fasse de ce mot une insulte : les gens ont l’air de croire que le vide de leur cerveau leur meuble les couilles.
Une femme libre est exactement le contraire d’une femme légère.
L’amour maternel n’a rien de naturel.
La femme est vouée à l’immoralité parce que la morale consiste pour elle à incarner une inhumaine entité : la femme forte, la mère admirable, l’honnête femme etc.
La femme n’est victime d’aucune mystérieuse fatalité : il ne faut pas conclure que ses ovaires la condamnent à vivre éternellement à genoux.
— Simone de Beauvoir
Je ne sais pas pour vous, mais moi j’ai beaucoup aimé ses écrits, sa liberté d’expression, sa force, sa modernité, son engagement, j’ai découvert ses livres à l’internat, ils m’ont ouvert bien des portes à un moment où je me posais tant de questions sur le monde… Aujourd’hui elle m’épaule encore avec une phrase cueillie entre les pages cornées de l’un ou l’autre de ses livres ; ils ne quittent pas souvent ma table de chevet. Des écrits qu’elle a semés durant toute sa vie, comme des petits cailloux qui éclairent le chemin…Merci.
Me voici partie dans le feu de l’histoire. L’exode de juin 1940. Je découvre cette auteure, et bien que le sujet ne m’enthousiasme pas énormément, par respect pour le vécu de cette femme j’irais certainement jusqu’au bout du livre. Quand je dis que le sujet ne m’enthousiasme pas, c’est à propos de la guerre, de cette guerre 39-45 qui nous poursuit, dans les études et bien après. Je n’oublie pas l’émotion dans laquelle m’avait plongé « Le journal d’Anne Franck » pendant mes années de collège. Peut-être ai-je encore des choses à découvrir sur cette page de notre histoire qui soulève toujours des questions. Je suis française et même si je ne me sens pas coupable des erreurs de mes ancêtres, je m’interroge sur l’humanité, sur ses réactions dans les moments les plus difficiles de notre existence. En tout cas, je me réjouis de cette rencontre avec cette femme passionnée de littérature avec qui j’aurais pu partager cette passion commune. Je sais déjà aux premiers mots lus qu’elle va m’emporter dans sa suite …
Notes manuscrites d’Irène Némirovsky relevées dans son cahier
Mon Dieu ! Que me fait ce pays ? Puisqu’il me rejette, considérons-le froidement, regardons-le perdre son honneur et sa vie. Et les autres que me sont-ils ? Les Empires meurent. Rien n’a d’importance. Si on le regarde du point de vue mystique ou du point de vue personnel, c’est tout un. Conservons une tête froide. Durcissons-nous le cœur. Attendons.
Quelques brèves questions ….
Ce qui importe avant tout c’est l’œuvre, mais ici le contexte est important. Un aperçu rapide de sa naissance et du moment de l’écriture du livre.
Qui est-elle ? D’où vient-elle ?
Irène Némirovsky est originaire de Kiev, née en 1903 dans une famille de financiers juifs russes. Son père, Léon Némirovsky, était un des plus riches banquiers de Russie. 1914, Les Némirovsky s’installent à Saint Pétersbourg. Malgré l’excellence de ses précepteurs, Irène sera une enfant malheureuse et solitaire, ses parents portant peu d’intérêt pour leur foyer. Elle adore néanmoins son père, toujours pris par ses affaires ou par le jeu au casino. Presque haïe par sa mère, ainsi que l’évoqueront plus tard ses livres tels que Le Bal, Le Vin de solitude ou Jézabel, Irène trouve quelque refuge dans l’écriture et la lecture. Dans sa jeunesse, elle viendra très souvent en France avec ses parents, quittant chaque été l’Ukraine pour Biarritz, Saint-Jean-de-Luz, Hendaye ou la Côte-d’Azur, lorsque ce n’était pas la Crimée.
Elle apprend le français avant de connaître le russe. Mais lorsque la révolution éclate dans le pays en 1917, Léon Némirovsky préfère éloigner sa petite famille du pays en crise et s’installe en France en juillet 1919. Irène reprend alors brillamment ses études et décroche en 1926 sa licence de lettres à la Sorbonne.
Pourquoi ce livre ?
En 1938, Irène Némirovsky et Michel Epstein son mari, se voient refuser la nationalité française, mais n’envisagent toutefois pas l’exil, persuadés que la France défendrait ses juifs. Ils préfèrent toutefois envoyer leurs deux filles dans le Morvan. Lâchée par ses amis et son éditeur, Irène porte l’étoile jaune. Elle rejoint, accompagnée par son mari, ses deux filles dans le petit village où elles étaient cachés. C’est là qu’Irène Némirovsky rédigera le récit de Suite française, persuadée qu’elle allait bientôt mourir.
En 2004, Denise Némirovsky découvre au fond d’une malle le manuscrit inachevé de Suite française, qui raconte, entre autres, l’exode de juin 1940, faits de lâchetés et de petits élans de solidarité. Elle se décide à le publier, et le roman a la surprise de se voir consacré du prestigieux prix Renaudot. Surprise, car c’est la première fois dans son histoire que le prix est remis à un auteur disparu. Mais ce n’est que justice quand on sait que jamais Irène Némirovsky n’avait été distinguée de son vivant.