Je suis un intellectuel. Ça m’agace qu’on fasse de ce mot une insulte : les gens ont l’air de croire que le vide de leur cerveau leur meuble les couilles.
Une femme libre est exactement le contraire d’une femme légère.
L’amour maternel n’a rien de naturel.
La femme est vouée à l’immoralité parce que la morale consiste pour elle à incarner une inhumaine entité : la femme forte, la mère admirable, l’honnête femme etc.
La femme n’est victime d’aucune mystérieuse fatalité : il ne faut pas conclure que ses ovaires la condamnent à vivre éternellement à genoux.
— Simone de Beauvoir
Je ne sais pas pour vous, mais moi j’ai beaucoup aimé ses écrits, sa liberté d’expression, sa force, sa modernité, son engagement, j’ai découvert ses livres à l’internat, ils m’ont ouvert bien des portes à un moment où je me posais tant de questions sur le monde… Aujourd’hui elle m’épaule encore avec une phrase cueillie entre les pages cornées de l’un ou l’autre de ses livres ; ils ne quittent pas souvent ma table de chevet. Des écrits qu’elle a semés durant toute sa vie, comme des petits cailloux qui éclairent le chemin…Merci.
[…] les femmes savent arracher le feu à son sommeil, elles accomplissent ce geste chaque matin, et depuis des centaines d’années. Ailleurs, bien loin d’ici, de grands hommes ont réfléchi sur l’humanité et sur l’univers, ils ont découvert des planètes, des vers de poésie ont vu le jour, des empereurs, des rois, des généraux ont exterminé la vie autour d’eux et c’est ainsi que l’histoire a connu ses flux et ses reflux ; les années s’assemblent en siècles et pendant tout ce temps, ici, à la limite du monde, des femmes se sont éveillées avant Dieu et les hommes pour aller s’agenouiller devant le fourneau et ranimer les braises qu’elles avaient confiées à la nuit. […]
Sans me nommer écrivaine ou auteure, autrice, ou ce qu’on veut, je dis juste que j’écris, que je ne peux me passer d’écrire, depuis toujours, et que les mots de « cette » auteure font écho à mon propre ressenti de griffonneuse…
Le secret de l’écrivain : ne pas attendre que d’autres apprécient ce que vous avez fait comme vous l’appréciez. Ne pas espérer que quiconque y perçoive les émotions que vous y avez investies. Une fois cela compris, tout ira bien. Le résultat n’est ni indifférence ni apathie – mais autonomie.
— Joyce Carol Oates
Extraits du Journal 1973-1982
de Joyce Carol Oates
Une maison totalement silencieuse, dehors la neige, du soleil et un ciel d’un bleu vif, et mon esprit vagabondait librement…
Et il m’arrive d’écrire un peu dans la soirée. Mais généralement pas : je me contente de lire, de prendre des notes. Ce qui me permet de savoir que si j’avais un emploi réellement exigeant et que je travaille ainsi cinq jours par semaine, je n’écrirais probablement pas du tout.
Pour de tels écrivains (j’espère être du nombre), l’influence la plus importante n’est pas la littérature, mais la vie même, et moins elle est familière, mieux c’est…
Je n’ai pas envie de le poster. Je pourrais le travailler et le retravailler sans fin. Chaque page pourrait être développée, chaque scène dramatisée, de nouveaux passages introduits, des passages minuscules pleins d’amour – description, méditation, atmosphère, souvenirs…
Je ne sais pas si je dois continuer à mettre l’essentiel de mon énergie dans mon écriture, ou si je dois « lâcher prise » – le talent artistique hautement conscient est-il une sorte d’égotisme… ou… est-il, en un sens, absence de moi ?
« Perfection de la vie » ou « perfection de l’art » : une alternative qui n’est pas raisonnable. Il est sûrement possible d’avoir les deux. On peut essayer, en tout cas. Mais c’est l’art qui exerce la plus forte attraction…
Il n’empêche qu’on doit laisser à une œuvre son autonomie. Les personnages revendiquent leur vie…
J’ai tendance à la paresse… Lire, marcher, regarder par la fenêtre. Debout de bonne heure ce matin, j’ai lu pendant que Ray dormait, assise sur le canapé près de la fenêtre de la terrasse, distraite par les geais bleus, les tourterelles, le ciel bleu magnifique, j’ai rêvassé, paresseuse, parfaitement heureuse.
« Seul et unique propriétaire. » Tout écrivain éprouve le désir de créer un monde fictif qui représente le monde « réel » en raccourci, en concentré, en poétique. Bellow crée ainsi son Chicago, qu’il appelle « Chicago » mais qui est néanmoins le Chicago de Bellow (et pas celui de Nelson Algren ni de Studs Terkel). Le New York de Philip Roth lui appartient en propre, au même titre que les paysages intérieurs de Beckett. Sans cela, l’art n’aurait guère d’attrait : ce serait du simple reportage.
[…] les premiers sont écrits à la main. Couverts de gribouillis, de dessins, barrés à mesure que je transfère certains passages de mes notes à un autre brouillon plus officiel. Le saut entre les notes et le premier jet est si considérable que quelque chose serait perdu de toute façon. Et le saut entre le premier et le dernier jet est également immense. Ce qui se passe sur le papier est si insignifiant comparé à ce qui se passe dans le cerveau que l’accumulation des brouillons de travail ne ferait que dérouter quiconque les étudierait…
Un journal comme un travail de prise de conscience.
Le défi : noter, sans falsifier, minimiser ni « dramatiser », les processus extraordinairement subtils par lesquels le réel est rendu plus intensément réel par l’entremise du langage. C’est-à-dire par l’entremise de l’art.
De temps à autre, un rêve/une vision profonde, vraiment alarmante, franchit la barrière et nous contraint à reconnaître la présence d’une force plus grande que nous, contenue on ne sait comment dans notre conscience.
S’occuper » est le remède à tous les maux en Amérique. C’est aussi par ce moyen que l’on détruit l’élan créateur.
Dommage que noter des événements essentiellement heureux donne, dans un journal, une impression d’auto congratulation. L’artiste doit trouver un environnement, un mode de vie, qui protégera son énergie : l’art doit être cultivé, doit avoir la priorité. Le lecteur d’un roman ne peut deviner à quel point le romancier est lui aussi un lecteur… un lecteur d’abord, puis un greffier. L’œuvre d’art travaille à se créer ; il faut seulement ne pas intervenir. La première règle de la médecine : ne pas faire de mal. Mais si c’est nécessaire, le faire avec grâce… !
Devoir et vertu impliquent l’asservissement de l’individu à des lois extérieures à lui : nous les niions ; à des notions vaines nous opposions une vérité vivante : la sagesse.
Simone de Beauvoir
Nous récusions, moi par un antique goût de l’absolu, Sartre par dégoût de l’universel, non seulement les préceptes en cours dans notre société, mais n’importe quelle maxime prétendant s’imposer à tous.
Éparpillés dans des librairies, gris de poussière Ni lus, ni cherchés, ni ouverts, ni vendus Mes poèmes seront dégustés comme les vins les plus rares Quand ils seront vieux.
Je ne peux m’empêcher de partager ce poème de Xavier Grall, auteur lu et relu et que j’admire toujours. Aujourd’hui, alors que les années défilent et que je vis sur une île bretonne loin des turbulences de la ville, ses mots prennent toute leur densité… […] je demeure dans la voix des bardes […]
Allez dire à la ville
À Paul Guimard
Terre dure de dunes et de pluies
c’est ici que je loge
cherchez, vous ne me trouverez pas
c’est ici, c’est ici que les lézards
réinventent les menhirs
c’est ici que je m’invente
j’ai l’âge des légendes
j’ai deux mille ans
vous ne pouvez pas me connaître
je demeure dans la voix des bardes
O rebelles, mes frères
dans les mares les méduses assassinent les algues
on ne s’invente jamais qu’au fond des querelles
Allez dire à la ville
que je ne reviendrai pas
dans mes racines je demeure
Allez dire à la ville
qu’à Raguenès et Kersidan
la mer conteste la rive
que les chardons accrochent la chair des enfants
que l’auroch bleu des marées
défonce le front des brandes
Allez dire à la ville
que c’est ici que je perdure
roulé aux temps anciens
des misaines et des haubans
Allez dire à la ville
que je ne reviendrai pas.
Poètes et forbans ont même masure
les chaumes sont pleins de trésors et de rats
on ne reçoit ici que ceux qui sont en règle
avec leur âme sans l’être avec la loi
les amis des grands vents
et les oiseaux perdus
Allez dire à la ville
que je ne reviendrai pas
Terre dure de dunes et de pluies
pierres levées sur l’épiphanie des maïs
chemins tordus comme des croix
Cornouaille
tous les chemins vont à la mer
entre les songes des tamaris
les paradis gisent au large
Aven
Eden
ria des passereaux
on met le cap sur la lampe des auberges
les soirs sont bleus sur les ardoises de Kerdruc
O pays du sel et du lait
Allez dire à la ville
que c’en est fini
je ne reviendrai pas
Le Verbe s’est fait voile et varech
bruyère et chapelle
rivage des Gaëls
en toi, je demeure.
Allez dire à la ville
Je ne reviendrai pas.
Xavier Grall, extrait de « La sône des pluies et des tombes »