N’écrivez pas pour une personne en particulier, ou pour Heretica, ou pour je ne sais quel courant artistique. Écrivez parce que vous devez une réponse aux dieux.
Son esprit intelligent se laissait attirer par les plus extrêmes bizarreries, parmi lesquelles la kabbale et la numérologie. Dans le secret de son bureau, elle essaya toutes les combinaisons possibles. Ajoutant ou supprimant les lettres, additionnant leur valeur, jusqu’à ce Isak. Isak = Chiffre 4. Le chemin de la Réalisation. Isak Dinesen.

Elle aurait juré entendre le bruit mat de dés jetés sur un tapis. Là-haut, un petit dieu retors réglait son cas. Les jeux étaient faits. Ceux-là mêmes qui l’avaient vue partir pour l’Afrique la verraient poser le pied dans la cour d’une maison qu’elle avait mis toute son énergie à fuir. Ramenée par le col à son point de départ. Tel était le sort des petites fugueuses trop fières. Petite fugueuse.
Karen se demanda s’il y avait un mot pour dire ce qui n’existait plus. Ex-amant ? Ex-âme sœur ? À l’avenir, ils se retrouveraient dans des lieux inconnus, et ils bavarderaient comme de vieux amis. Parfois, au détour d’une conversation, d’une phrase prononcée d’une même voix, ce qui les ferait rire, leur intimité ancienne surgirait, telle une petite flamme. Elle tremblerait entre eux quelques secondes et s’éteindrait doucement, les laissant confus, vaguement nostalgiques, puis ils redeviendraient des étrangers bienveillants l’un pour l’autre.
Et l’Afrique, sait elle un chant sur moi ? L’air vibre-t-il jamais d’une couleur que j’ai portée, y a-t-il un jeu d’enfant où mon nom ressurgit, la pleine lune jette-t-elle sur le gravier de l’allée une ombre qui ressemble à la mienne ? Les aigles du Ngong me cherchent-ils parfois du regard ?
« Hélas, trois fois hélas, qu’avons-nous fait et que faisons-nous à ce pays, et qu’est-ce donc que cette “civilisation” que nous y introduisons ? »
Elle imagina la ronde des léopards et des hyènes qui commencerait dans la fraîcheur de la nuit pour encercler les antilopes et les zèbres. Opulence, férocité. Ces derniers temps, la région connaissait plus barbares que les fauves : des touristes surarmés exigeaient leur quota de trophées avant même d’avoir pénétré dans la forêt. Ils en ressortaient en brandissant des peaux de bébés. Petits de léopards, petits de lions et de girafes, massacres pour descentes de lit ou épatants sacs à main. Ça la désolait. Ces types n’étaient même pas fichus d’affronter des ennemis dignes de ce nom. Les éléphants furent les premiers à comprendre. Ils avaient quitté le Ngong pour s’enfoncer en majesté dans des forêts plus impénétrables.


J’ai lu la moitié du livre de Julie Otsuka, « Certaines n’avaient jamais vu la mer ».
Julie Otsuka est est une écrivain américaine d’origine 








