Étiquette : Écrivaine

  • Karen Blixen

    Karen Blixen

    N’écrivez pas pour une personne en particulier, ou pour Heretica, ou pour je ne sais quel courant artistique. Écrivez parce que vous devez une réponse aux dieux. 

    Son esprit intelligent se laissait attirer par les plus extrêmes bizarreries, parmi lesquelles la kabbale et la numérologie. Dans le secret de son bureau, elle essaya toutes les combinaisons possibles. Ajoutant ou supprimant les lettres, additionnant leur valeur, jusqu’à ce Isak. Isak = Chiffre 4. Le chemin de la Réalisation. Isak Dinesen.

    Elle aurait juré entendre le bruit mat de dés jetés sur un tapis. Là-haut, un petit dieu retors réglait son cas. Les jeux étaient faits. Ceux-là mêmes qui l’avaient vue partir pour l’Afrique la verraient poser le pied dans la cour d’une maison qu’elle avait mis toute son énergie à fuir. Ramenée par le col à son point de départ. Tel était le sort des petites fugueuses trop fières. Petite fugueuse.

    Karen se demanda s’il y avait un mot pour dire ce qui n’existait plus. Ex-amant ? Ex-âme sœur ? À l’avenir, ils se retrouveraient dans des lieux inconnus, et ils bavarderaient comme de vieux amis. Parfois, au détour d’une conversation, d’une phrase prononcée d’une même voix, ce qui les ferait rire, leur intimité ancienne surgirait, telle une petite flamme. Elle tremblerait entre eux quelques secondes et s’éteindrait doucement, les laissant confus, vaguement nostalgiques, puis ils redeviendraient des étrangers bienveillants l’un pour l’autre.

    Et l’Afrique, sait elle un chant sur moi  ? L’air vibre-t-il jamais d’une couleur que j’ai portée, y a-t-il un jeu d’enfant où mon nom ressurgit, la pleine lune jette-t-elle sur le gravier de l’allée une ombre qui ressemble à la mienne  ? Les aigles du Ngong me cherchent-ils parfois du regard  ?  

    « Hélas, trois fois hélas, qu’avons-nous fait et que faisons-nous à ce pays, et qu’est-ce donc que cette “civilisation” que nous y introduisons ? »

    Elle imagina la ronde des léopards et des hyènes qui commencerait dans la fraîcheur de la nuit pour encercler les antilopes et les zèbres. Opulence, férocité. Ces derniers temps, la région connaissait plus barbares que les fauves  : des touristes surarmés exigeaient leur quota de trophées avant même d’avoir pénétré dans la forêt. Ils en ressortaient en brandissant des peaux de bébés. Petits de léopards, petits de lions et de girafes, massacres pour descentes de lit ou épatants sacs à main. Ça la désolait. Ces types n’étaient même pas fichus d’affronter des ennemis dignes de ce nom. Les éléphants furent les premiers à comprendre. Ils avaient quitté le Ngong pour s’enfoncer en majesté dans des forêts plus impénétrables.

  • Certaines n’avaient jamais vu la mer

    Certaines n’avaient jamais vu la mer

    de Julie Otsuka, traduit par Carine Chichereau, Phébus
    En ce qui concerne le Prix des lectrices, j’ai tout de même trouvé des moments pour lire quelques livres de la liste.

    L’extraordinaire histoire de l’émancipation des femmes japonaises, passant d’un statut féodal particulièrement contraignant à une vie épanouie de femme du XXe siècle »  été en grande partie le fait des journaux féministes du Japon dont le premier dut son existence à « une campagne menée vers 1920 afin d’obtenir pour les jeunes filles le droit de refuser un mari syplilitique.
    Cf. La presse féminine d’Evelyne Sullerot, collection Kiosque d’A.Colin.

     Qui n’aurait pas honte aujourd’hui de voir que les femmes ont dû se battre pour échapper à un sort aussi scandaleux ?

    Certaines n'avaient jamais vu la merJ’ai lu la moitié du livre de Julie Otsuka, « Certaines n’avaient jamais vu la mer ».
    Le « nous » impersonnel que l’auteure emploie pour parler de ces immigrantes japonaises qui débarquent aux Etats-Unis et le style qui ressemble à une longue et lancinante énumération ont eu raison de mon courage qui voulait aller jusqu’au point final. Je me suis arrêtée à la page 64, juste avant le chapitre « Naissances ».

    Je ne me permets pas de porter un jugement sur le destin terrible de ces femmes vendues et abandonnées, (destin Ô combien injuste et douloureux),  c’est la façon de traiter le sujet qui ne m’a pas convaincue. Faire parler un choeur de femmes était une idée lumineuse mais il manque à ce choeur un sentiment d’humanité. On est envahi par un flot incessant de paroles qui finit par lasser et rend invisible la plainte véritable de ces vies sacrifiées. Après quelques lignes les voix  se mélangent et s’annulent les unes les autres, la monotonie s’installe. Il aurait fallu une voix unique par-dessus ce choeur, une voix que l’on aurait suivi du début à la fin, une voix qui par moment aurait remplacé « le nombre » pour s’approcher du lecteur et lui murmurer sa solitude et sa grande détresse. Il manque à ce choeur son coryphée (celui qui conduisait le choeur dans les tragédies antiques). Choeur – Coryphée, l’un ne va pas sans l’autre, c’est l’alternance des deux qui donne toute la dimension aux tragédies. J’aurais aimé qu’une voix s’élève au-dessus des autres et nous guide dans cette énumération impersonnelle. Mais voilà, c’est un avis, juste mon avis et mon ressenti. Ce qui ne m’empêche pas d’avoir du respect pour l’auteur qui dénonce une atrocité de notre humanité.

    Biographie Julie Otsuka

    https://i0.wp.com/i39.servimg.com/u/f39/11/59/18/67/20022510.jpgJulie Otsuka est est une écrivain américaine d’origine japonaise née en 1962 en Californie. Elle vit à New York. Diplômée en art, elle abandonne une carrière de peintre pour l’écriture. Elle publie son premier roman en 2002, Quand l’empereur était un dieu largement inspiré de la vie de ses grands-parents ( l’ évocation des camps où 110.000 citoyens américains d’origine japonaise ont été internés aux Etats-Unis après l’attaque de Pearl Harbour ). Son deuxième roman, Certaines n’avaient jamais vu la mer a été considéré aux États-Unis, dès sa sortie, comme un chef-d’œuvre.

    Le livre – Au début du XIXe siècle, un bateau venu du Japon se dirige vers San Francisco. A son bord, des jeunes filles qui ont quitté leur pays pour rejoindre leur futur époux. Après une longue traversée, elles découvrent à la place des princes charmants dont elles rêvaient des paysans beaucoup moins séduisants que sur les photos qu’ils ont envoyées. Elles vont réaliser la manipulation dont elles ont été victimes mais trop tard car elles n’ont pas de billet de retour. Le rêve se transforme en cauchemar car les hommes rudes et brutaux les feront travailler sans relâche.

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  • Suite française

    Suite française

    Irène Némirovsky

    J’ai écrit un premier article lorsque j’ai commencé la lecture de ce livre. Il parle de l’auteur et du moment de la création du livre. Vous pouvez le lire en suivant ce lien : Article sur Irène Némirovsky

    Le silence et l’abandon

    Suite française

    Irène Némirovsky ne se laissa pas tourner la tête par son entrée fracassante en littérature. Elle s’étonna même qu’on fit tant de cas de David Golder, qu’elle qualifiait sans fausse modestie de « petit roman ». Elle écrivit à une amie le 22 janvier 1930 : « Comment pouvez-vous supposer que je puisse oublier ainsi mes vieilles amies à cause d’un bouquin dont on parle pendant quinze jours et qui sera tout aussi vite oublié, comme tout s’oublie à Paris ? »

    J’ai terminé la lecture de Suite française d’Irène Némirovsky, ce qui me permet d’avoir une autre vision de la guerre, des français, des allemands, et surtout de l’humanité. Je peux dire que cette lecture m’a laissé un goût amer dans le cœur. Bien sûr,  les lectures qui tournent autour de ces sujets douloureux sont souvent bouleversantes, mais là c’était différent. Un tableau sombre du peuple français et de son manque d’esprit solidaire.

    Sauve qui peut,  moi d’abord, les autres s’il reste de la place, et si on peut en jeter quelques uns  au milieu de la tempête ce sera plus confortable…

    La manière dont  l’auteure parle du comportement des gens  fait bien souvent grincer les dents. Difficile d’avaler la lâcheté de certains, l’acceptation de l’humiliation, les dénonciations, la collaboration dès les premières années de la guerre. Chacun est abandonné à son sort et il faut se méfier des autres, les allemands sont parfois plus arrangeants que les collègues ou les voisins. On est en guerre contre les allemands mais aussi et d’une manière qui fait froid dans le dos contre tous les français qui veulent garder leur confort et leur sécurité. Certains  sont prêts à tout pour ne rien perdre de leurs privilèges, d’autres laissent leur plus vils instincts s’épanouir.  Camouflée au milieu d’une débâcle indescriptible, dans un chaos hétéroclite de piétons et de véhicules de toutes sortes gênant le déplacement des troupes, l’ombre de l’âme se déploie et s’agrandit.

    « Pour soulever un poids si lourd
    Sisyphe, il faudrait ton courage.
    Je ne manque pas de cœur à l’ouvrage
    Mais le but est long et le temps est court. »

    En juin, lorsque les troupes allemandes s’approchèrent de Paris, les populations d’Île-de-France s’enfuirent à leur tour. Des bagarres eurent lieu pour pouvoir prendre les trains (trains d’abord de voyageurs puis devant l’afflux, réquisition de trains de bestiaux). Des millions de personnes s’exilèrent.  Le gouvernement français  s’était enfui de Paris dès le 11 juin 1940 pour gagner Bordeaux.

    exode

    L’exode de 1940 en France est une fuite massive de la population française en mai-juin 1940 lorsque l’armée allemande envahit la majorité du territoire national pendant la bataille de France, après la percée de Sedan. Cet exode est un des mouvements de masse le plus important du XXe siècle en Europe.

    C’est ce livre que j’aurais dû lire l’année de première au lycée lorsqu’on étudie la guerre 39-45.

    La guerre est une vermine qui contamine toutes les rives, elle n’épargne personne. La force qui permet d’avancer et de tenir bon est bien sûr au cœur de nous-même, lorsqu’on fait ce qui doit être fait. C’est à dire sauver les hommes des tyrans, des despotes, des lâches, de la souffrance.  Il ne s’agit pas ici de gagner des batailles avec des armes lourdes, il s’agit de vaincre la plus dure d’entre elles, la plus éprouvante, la plus sournoise, celle contre soi-même, celle contre la peur, celle contre nos faiblesses…

    Irène Némirovsky est une grande auteure qui ne se plaint jamais, qui peint avec ses mots et une lucidité étonnante et courageuse ce qui se passe sous ses yeux, alors qu’elle court un grand danger. J’aurais aimé la connaître et parler avec elle de sa passion pour la littérature. Je vais certainement lire ses autres livres.
    « Il la revit dans sa mémoire. Elle n’était pas laide, non, elle n’était pas laide. Au fond, c’était touchant, cet amour… Il le devait au prestige de ses livres, de son esprit rayonnant à travers les pages imprimées. »
    Avant d’entamer un nouveau livre de la liste du prix des lectrices,  je pense que je vais faire une pause et lire une BD ou un livre plus joyeux, plus léger. Mes nuits commencent à être difficiles,  il me faut des pages poétiques et douces…

    Mémoire à transmettre pour ceux qui ont connu et connaissent encore aujourd’hui le drame de l’intolérance
    — Denise Epstein

  • Dans l’intimité de Virginia Woolf

    Dans l’intimité de Virginia Woolf

    Ce sont nos efforts pour saisir tous les aspects de la vie qui la rendent si passionnément intéressante.
    Virginia Woolf

    virginia-woolf

    J’apprécie beaucoup les réflexions de cette auteure et je cherche en vain l’intégral de son journal. Passionnée par la lecture et l’écriture mais étant également assez bordélique, ne finissant jamais mes projets d’écriture ou si peu, étant en permanence assaillie par mon imaginaire et les vagabondages de mon esprit, j’admire ceux et celles qui ont réussi à maîtriser ce flot bouillonnant de la création. Qui en ont fait une œuvre structurée et pleine de richesse pour les autres.

    cahier

    Noter, consigner, écrire sans cesse car déjà la lumière a changé, car déjà la saison a basculé et la mémoire est si défaillante. Le détail s’est évanoui, les chatoiements de la vie s’estompent, comment faire pour garder tout cela ? Écrire un journal intime. C’est d’abord un journal, il faut donc qu’il soit inséré dans le temps, qu’il ait été tenu, sinon au jour le jour – nulla dies sine linea – du moins de manière régulière. Il doit respecter le calendrier, c’est là le pacte que signe celui qui écrit un journal :

    Le calendrier est son démon, l’inspirateur, le conspirateur, le provocateur et le gardien.

    Écrire son journal intime, c’est se mettre momentanément sous la protection des jours communs, mettre l’écriture sous cette protection, et c’est aussi se protéger de l’écriture en la soumettant à cette régularité heureuse qu’on s’engage à ne pas menacer. Ce qui s’écrit s’enracine alors, bon gré mal gré, dans le quotidien et dans la perspective que le quotidien délimite.

    Peinture à la une ©Vanessa Bell

  • L’exode de juin 1940

    L’exode de juin 1940

    vécu par Irène Némirovsky

    Roman : Suite française

    irene-nemirovsky

    Me voici partie dans le feu de l’histoire. L’exode de juin 1940. Je découvre cette auteure, et bien que le sujet ne m’enthousiasme pas énormément, par respect pour le vécu de cette femme  j’irais certainement jusqu’au bout du livre. Quand je dis que le sujet ne m’enthousiasme pas, c’est à propos de la guerre, de cette guerre 39-45 qui nous poursuit, dans les études et bien après. Je n’oublie pas l’émotion dans laquelle m’avait plongé « Le journal d’Anne Franck » pendant mes années de collège. Peut-être ai-je encore des choses à découvrir sur cette page de notre histoire qui soulève toujours des questions. Je suis française et même si je ne me sens pas coupable des erreurs de mes ancêtres, je m’interroge sur l’humanité, sur ses réactions dans les moments les plus difficiles de notre existence. En tout cas, je me réjouis de cette rencontre avec cette femme passionnée de littérature avec qui j’aurais pu partager cette passion commune. Je sais déjà aux premiers mots lus qu’elle va m’emporter dans sa suite …

    Notes manuscrites d’Irène Némirovsky relevées dans son cahier

    Mon Dieu ! Que me fait ce pays ?
    Puisqu’il me rejette, considérons-le froidement, regardons-le perdre son honneur et sa vie. Et les autres que me sont-ils ? Les Empires meurent. Rien n’a d’importance.  Si on le regarde du point de vue mystique ou du point de vue personnel, c’est tout un. Conservons une tête froide. Durcissons-nous le cœur. Attendons.

    Quelques  brèves questions ….

    Ce qui importe avant tout c’est l’œuvre, mais ici le contexte est important. Un aperçu rapide de sa naissance et du moment de l’écriture du livre.

    Qui est-elle ?  D’où vient-elle ?

    Irène Némirovsky est originaire de Kiev, née en 1903 dans une famille de financiers juifs russes. Son père, Léon Némirovsky, était un des plus riches banquiers de Russie. 1914, Les Némirovsky s’installent à Saint Pétersbourg. Malgré l’excellence de ses précepteurs, Irène sera une enfant malheureuse et solitaire, ses parents portant peu d’intérêt pour leur foyer. Elle adore néanmoins son père, toujours pris par ses affaires ou par le jeu au casino. Presque haïe par sa mère, ainsi que l’évoqueront plus tard ses livres tels que Le Bal, Le Vin de solitude ou Jézabel, Irène trouve quelque refuge dans l’écriture et la lecture. Dans sa jeunesse, elle viendra très souvent en France avec ses parents, quittant chaque été l’Ukraine pour Biarritz, Saint-Jean-de-Luz, Hendaye ou la Côte-d’Azur, lorsque ce n’était pas la Crimée.

    Elle apprend le français avant de connaître le russe. Mais lorsque la révolution éclate dans le pays en 1917, Léon Némirovsky préfère éloigner sa petite famille du pays en crise et s’installe en France en juillet 1919. Irène reprend alors brillamment ses études et décroche en 1926 sa licence de lettres à la Sorbonne.

    Pourquoi ce livre ?

    En 1938, Irène Némirovsky et Michel Epstein son mari,  se voient refuser la nationalité française, mais n’envisagent toutefois pas l’exil, persuadés que la France défendrait ses juifs. Ils préfèrent toutefois envoyer leurs deux filles dans le Morvan. Lâchée par ses amis et son éditeur, Irène porte l’étoile jaune. Elle rejoint, accompagnée par son mari, ses deux filles dans le petit village où elles étaient cachés. C’est là qu’Irène Némirovsky rédigera le récit de Suite française, persuadée qu’elle allait bientôt mourir.

    En 2004, Denise Némirovsky découvre au fond d’une malle le manuscrit inachevé de Suite française, qui raconte, entre autres, l’exode de juin 1940, faits de lâchetés et de petits élans de solidarité. Elle se décide à le publier, et le roman a la surprise de se voir consacré du prestigieux prix Renaudot. Surprise, car c’est la première fois dans son histoire que le prix est remis à un auteur disparu. Mais ce n’est que justice quand on sait que jamais Irène Némirovsky n’avait été distinguée de son vivant.

    Mon article sur cette lecture

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