La préparation du roman

Présent

Peut-on faire du Récit (ou du Roman) avec du Présent ? Comment concilier – dialectiser – la distance impliquée par l’énonciation d’écriture et la proximité, l’emportement du présent vécu à même l’aventure.
Le présent, c’est ce qui colle à moi, comme si on avait le nez sur le miroir et si on a le nez sur le miroir, on ne peut pas voir ce qu’il y a dedans. Donc le présent, pour quelqu’un qui veut écrire, ça revient à avoir le nez collé à la page ; or comment écrire longuement, couramment (puisque c’est ainsi que je fantasme le roman, d’une façon courante, coulée, filée) en ayant un œil sur la page (sur la main qui écrit) et l’autre sur « ce qui m’arrive » (qui est la définition de l’aventure) ?

On peut écrire le Présent en le notant – au fur et à mesure qu’il « tombe » sur vous ou sous vous (sous votre regard, sous votre écoute). Ainsi se découvre enfin le double problème, dont la clef commande la Préparation du Roman (c’est-à-dire de mon Roman) et donc constitue le premier objet du cours de cette année. À savoir : La notation : c’est-à-dire la pratique de « noter ».

Dans la vie, il y a un emportement du langage le long du temps, et puis il y a des langages superposés à chaque instant : le langage, celui que nous tenons aux autres, que nous recevons, forme une sorte de palimpseste*.

*Palimpseste : du grec, de palin « de nouveau » et psên « gratter ».
Parchemin dont on a effacé la première écriture pour pouvoir écrire un nouveau texte.

Donc d’une part, la vie, le langage coulé, enchaîné, et d’autre part, marquer, isoler quelque chose dans ce flux ininterrompu.

Noter, c’est évidemment marquer. Le problème est donc à l’intersection d’un fleuve continu de vie et d’un acte de marquage.

Le problème est donc :

  • comment organiser et soutenir la Notatio ?
  • comment passer de la Notation, donc de la Note, au Roman, du discontinu au flux (au nappé) ?

C’est le combat de la forme brève et de la forme longue.
Choisir est cruel et douloureux mais c’est tout compte fait plus facile qu’inventer. Le plus difficile dans la vie, c’est d’inventer des solutions et non pas d’en choisir.

Il faudra interroger le dispositif visuel des romans, c’est-à-dire les paragraphes, les alinéas, les blancs, ce qu’Antoine Compagnon, dans un livre, « La Seconde main ou le travail de la citation« , appelle la périgraphie, cet appareil qui a l’air d’entourer l’écriture (les titres, les alinéas, les présentations, les citations, etc.). L’aspect crypto-fragmentaire (clandestinement fragmentaire) de Flaubert (il y a certainement un mouvement fragmentaire dans le roman flaubertien où il y a très souvent des blancs entre les paragraphes). Et Aziyadé de Loti où il y a aussi une mise en scène malgré tout des fragments. Et, il y a sûrement bien d’autres exemples. À un niveau plus profond et moins formel, il faudrait considérer comme une virtualité de fragmentation du roman le discontinu proustien, ce que j’appellerai plus tard le Rhapsodique, la structure rhapsodique de la Recherche.

Pages: 1 2 3 4 5