La préparation du roman

Quelques extraits de ma lecture

Écrire pour se souvenir ? Non pour me souvenir mais pour combattre le déchirement de l’oubli en tant qu’il s’annonce absolu. Le – bientôt – « plus aucune trace », nulle part, en personne.
Nécessité du « monument ».
Memento illam vixice.

« J’appelle anamnèse, l’action – mélange de jouissance et d’affect – qui mène le sujet à retrouver, sans l’agrandir ni le faire vibrer, une ténuité du souvenir. »


Le roman vient d’une déformation de la mémoire. Or il y a des types de déformation mnésique plus ou moins productifs. Par exemple, la mémoire proustienne semble être une mémoire par éclats vifs, discontinus, non liés par le Temps (c’est ça sa caractéristique : elle n’est pas liée par la chronologie, il y a une subversion de la chronologie – on en reparlera) ; donc ce qui est subverti chez Proust, ce n’est pas l’acuité du souvenir, c’est l’ordre des souvenirs ; mais le souvenir, quand il vient, est aigu, torrentueux, il y a une sorte d’hypermnésie (qui est d’ailleurs en rapport avec la sensibilité de Proust, par exemple, aux odeurs, une hypersensibilité).

Or ma faiblesse mémorielle est tout autre : je la sens comme une vraie faiblesse, comme une impuissance – et j’ai dit comme ça, en m’amusant un peu, lors du colloque de Cerisy, qu’il me semblait sans cesse aller vers un lieu où habiter, un village traversé par une rivière qui s’appellerait la rivière mémoire et moi j’habiterais ce village qui s’appellerait « Brume-sur-Mémoire » ; par exemple, je me souviens très mal des dates de ma vie ; je serais incapable d’écrire ma biographie au sens classique du terme, ni un curriculum vitae daté. J’en ai fait un une fois pour toutes, afin de me rappeler les dates de mes intégrations administratives notamment. Sans doute ai-je quelques souvenirs-éclairs, des flashes de mémoire, mais ils ne prolifèrent pas, ils ne sont pas associatifs (« torrentueux »). Ils sont immédiatement épuisés par une forme brève (que j’ai essayé de mettre un peu en scène dans un passage central du livre que j’ai feint d’écrire sur moi-même, et ce passage s’appelle : Anamnèses. C’est un passage qui peut donner une impression de « romanesque », mais aussi, précisément, c’est ce qui me sépare du Roman : ma mémoire.

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