Il y a des genres et des degrés de solitude. Une île au milieu d’un lac, c’est un genre de solitude ; mais les lacs ont des bateaux, et on peut toujours espérer une visite.
Aldo Leopold
En ce moment ma plume est en Haute-Savoie, sur la rive Est du Lac d’Annecy, où Louison, l’héroïne de mon roman : « Les souvenirs oubliés sont-ils perdus à jamais », a retrouvé sa famille. C’est l’été, elle vient de tout quitter et de faire 800 km sous une chaleur torride. Elle s’installe dans un chalet prêté par ses parents, les enfants randonnent et se baignent, surveillés par les hautes montagnes sentinelles. Luxe, calme et volupté… sur la riviera alpine… Une scène qui ressemble à une belle carte postale, mais comme vous le savez, il ne faut pas se fier aux apparences.

Va-t-elle retrouver la mémoire de ses années d’adolescence ? Comprendre ce qui s’est passé l’été de ses 17 ans ? Vous le saurez en lisant le Tome II, qui attend l’été – des températures plus agréables – pour mettre le nez dehors.
Il y a une différence de température avec les -3° que nous avons eus en janvier, un des privilèges de la création, changer de vie et de paysage…

Pour terminer ce tome II, je passe l’hiver à l’écart du monde, sous la présence tutélaire de la nature. Dans une étroite connivence avec l’île où je vis, bout de terre entourée d’eau, peuplée d’arbres, de pierres, de lagunes, de longues bandes de sable et d’algues, traversée par les vents et la pluie, par les bernaches venues de Sibérie, j’observe le passage de la saison. Complètement isolée ? Quand on écrit un roman on reste au cœur de la vie, avec densité, je vogue sur un fleuve parallèle au flux quotidien, une navigation qui me donne de la visibilité. Un roman englobe tout ce qui existe mais il ne se résume pas à la réalité, il tente de montrer l’essence de l’existence qui ne se saisit pas dans le flux de la vie ordinaire. Il est intemporel.
Hiverner ou Hiberner
Immobilité pendant quelques mois.
L’ours n’hiberne pas, il hiverne. Son sommeil léger peut être entrecoupé d’éveils.
Hiverner s’emploie à propos d’animaux qui passent l’hiver dans un lieu plus tempéré, à l’abri des intempéries, leur métabolisme est profondément ralenti, mais pas léthargique.
La marmotte, le hérisson, la chauve-souris, la grenouille, la tortue peinte, l’engoulevent de Nuttall, le lémurien, le loir, etc. hibernent.
Hiberner s’emploie à propos de certains animaux pour signifier qu’ils passent l’hiver dans un état d’engourdissement ou de profonde léthargie.

Si j’ai bien compris la différence entre hiberner et hiverner, je dirai que j’hiverne, à ma façon. Longues heures d’écriture entrecoupées de marches sur les chemins côtiers en compagnie de mon ki (chien).
Mes alter ego fictifs ne me laissent pas dormir plus qu’il ne faut, ils sont plein d’énergie, passionnés, imprévisibles, des scènes inattendues surgissent et m’emmènent parfois tard dans la nuit. Je reste à l’écoute, entre maîtrise et abandon.
Les jeux favoris de la nature : la recette de la créativité. La nécessité seule n’engendre que de la monotonie, le hasard seul n’engendre que du fouillis. La nature joue sur les deux tableaux. Elle associe le hasard et la nécessité pour fabriquer
Hubert Reeves
des œuvres toujours plus structurées.
J’aime vivre cet instant de création, d’invention, approcher d’autres vies, tenter de comprendre ces « autres » qui m’entourent. C’est une grande jouissance de vivre pendant plusieurs mois la vie de quelqu’un d’autre. Essayer de dire son intériorité, chercher le frémissement invisible, regarder au-delà.

Des personnages apparaissent en filigranes du destin de Louison. Quand des personnages s’incarnent, quand on les rencontre, les suites sont inépuisables. D’autres personnages autour d’eux peuvent devenir des personnages principaux. Aurais-je assez d’une vie pour les raconter ?
Ce n’est pas toujours paisible, l’écriture demande une énergie considérable, c’est une bataille avec soi-même. Une manière d’essayer de comprendre la vie, la mort, pourquoi sommes-nous là ? Quel sens donner à l’existence ?
Ce que j’ai appris sur les hommes et le monde je l’ai appris dans les grands romans.
Écrire un roman c’est une aventure — c’est une hypothèque consentie pour des mois, pour des années quelquefois — sur votre tranquillité, sur votre insouciance : on a toujours l’esprit plus ou moins occupé.
Écrire m’aide à vivre, à réenchanter le monde. Ce n’est pas un refuge ni une échappatoire mais la possibilité de trouver quelque chose qui fasse sens face aux troubles, aux égarements de notre époque. Les artistes que j’aime et qui m’aident à surmonter les problèmes de l’existence, sont ceux qui transforment l’ombre en lumière. La beauté et la poésie sont des résistances possibles.

Au milieu de la maison, dans la lumière de la fenêtre, assise à mon bureau ou plutôt accrochée à ma table comme l’huître à son rocher, entourée de livres, de papiers, de chapitres, d’images et de stylos, j’explore de nouveaux territoires narratifs, l’écriture de ce roman en diptyque m’apprend beaucoup.
Tandem stylo-carnet
Début janvier mon ordinateur a – lui aussi – décidé d’hiberner, mais pour longtemps, la carte-mère a lâché. Avant de me précipiter sur une nouvelle machine, j’en profite pour reprendre l’écriture à la plume, au stylo-plume précisément. C’est plaisant et inspirant.

Courbes, arabesques, espaces libres, ma plume glisse avec douceur sur le papier et j’assiste à la naissance de phrases qui échappent à ma volonté, des mots s’inscrivent malgré moi sur la feuille. Ces lignes deviennent paragraphes, certains m’apprennent ce que je ne savais pas, la plume me guide.
Je suis ravie de ce contact avec le papier, j’aime l’odeur de l’encre fraîche, je remarque que l’utilisation du stylo plume améliore ma concentration et ma créativité, il m’offre une sensation plus personnelle et intime de mon travail. Et, ce qui n’est pas négligeable, avec cet outil j’ai une meilleure posture.
L’écriture est un dessin, souvent un portrait, presque toujours une révélation.
Colette

Quand j’arrive au bout d’un long cheminement, j’emprunte l’ordinateur de mon compagnon, pour réviser, épurer, corriger. Comme instrument de création, le stylo plume est parfait, mais comme instrument de correction la machine est très utile.
J’aime bien l’idée de la littérature comme un océan, dans lequel chaque livre, qu’il soit publié ou qu’il reste inédit, est pareil à une bouteille à la mer, lancée au hasard des vents et des courants, et qui porte parfois son message à l’autre bout du monde ou à l’autre bout du temps.
J.M.G. Le Clézio
