L’écrit et l’image deux modes d’expression qui me passionnent, que nous aimons tous. Pourquoi ? Un engouement spontané, naturel ?
Il y a peu je suis tombée sur cette réflexion d’Anne-marie Laulan qui développe le sujet avec une perspective historique ; sur le site « Persée ». Une étude passionnante.
Après une analyse très stricte des rapports de l’écrit et de l’image, après avoir examiné ce qu’elle appelle l’impérialisme de l’écrit, elle conclut en montrant qu’il y a aussi un impérialisme de l’audiovisuel.

L’IMPÉRIALISME DE L’ÉCRIT
[…] L’écrit est extrêmement codifié. Traités, parchemins, lettres de cachet, registres, livres et, plus récemment, journaux : le format en est réglementé, répertorié, et les règles d’écriture en sont extrêmement strictes. Il ne s’agit pas, bien sûr, de l’écriture que chacun de nous peut exercer à l’aide d’un stylo, d’un crayon ou même d’un roseau, il s’agit de l’écriture imprimée. Et cette codification vient, d’une part, des contraintes techniques et, d’autre part, du contrôle du pouvoir. N’oublions pas qu’aucun ouvrage ne pouvait paraître sans un « imprimatur ».
[…] La typographie par le plomb a obligé à s’entendre sur une forme de lecture d’ouvrage et on peut dire qu’à partir des contraintes techniques sont nées des contraintes mentales. Pour parler un langage que les biologistes comprendront très vite, on peut dire que la fonction de l’écrit dans sa forme typographique lourde a modelé peu à peu, et peut-être même modifié, l’organe qui est la pensée derrière l’écrit.
Par conséquent, depuis l’apparition de l’imprimerie, l’écrit est caractérisé ainsi : un privilège réservé à quelques-uns, une pratique contrôlée, censurée et extrêmement codée, enfin une technique très spécialisée, lourde, coûteuse et étroitement réglementée.
Si l’on se réfère au mode de raisonnement, au mode de pensée, aux grands textes philosophiques des cinq derniers siècles, on voit qu’effectivement la démarche rationnelle du syllogisme à la chaîne de raisonnement est toujours une démarche progressive, analytique, allant dans une seule direction temporelle. L’espace du livre est un espace réglementé, délimité ; on lit un livre du commencement à la fin, de droite à gauche, du haut de la page au bas.
Or, ces habitudes et ces contraintes de lecture ont fini par modeler et par régir aussi les contraintes de la pensée. Délimitation de l’espace et utilisation unidirectionnelle du temps, voilà donc comment se caractérise l’écrit. Et de là à imaginer qu’il y a un impérialisme de la pensée lié à cet impérialisme de l’écrit, il n’y a qu’un pas, qu’un assez grand nombre de penseurs ont franchi allègrement. […]
L’IMAGE DOMINÉE

Qu’en était-il de l’image pendant tout ce temps-là ? Elle a toujours été présente ; elle a été peinte, sculptée, dessinée, et cette pratique esthétique de l’image a coexisté plus ou moins pacifiquement mais continûment avec la pratique de l’écriture. On l’a déjà dit et on le redira souvent : l’image est finalement un matériau beaucoup plus résistant et beaucoup moins maniable que ne le sont les mots écrits.
L’image est moins facile à coder, elle résiste à l’analyse et, pendant de longs siècles, son rôle a été, dans notre société occidentale, essentiellement réduit à une fonction ancillaire. Un écrivain, Claude Beauvalet, a remarqué que le rôle assigné à l’image fut assez comparable au rôle assigné à la femme.
En quel sens ? On s’est servi de l’image pour orner, pour illustrer, pour embellir ; et toutes les fois que des choses importantes se produisaient, quand il s’agissait de signer un traité, de ratifier, d’enregistrer, de proclamer une décision, alors, bien entendu, on revenait à l’écrit. Donc l’image a été servante, et, d’ailleurs, le langage également. Valéry remarquait qu’on s’est très longtemps servi du langage comme d’un instrument et qu’on a négligé sa fonction poétique.
On sait à quel point peut s’exercer une domination par les codes du langage verbal, mais on commence tout juste à soupçonner qu’existe aussi un code de l’instrument audiovisuel. Bien sûr, on savait déjà que la prise de vues était toujours un peu subjective. Ce n’est pas de subjectivité qu’il s’agit, mais de code dominant : par exemple, le code de l’objectivité, le code de la neutralité, le code de l’impersonnalité (bien entendu, ce pourrait être le code de l’engagement).
Continuer cette réflexion : L’écrit et l’image : réalité de deux impérialismes par Anne-marie Laulan
