À vrai dire, du livre même, je n’ai pas encore écrit une ligne. Mais j’y ai déjà beaucoup travaillé. J’y pense chaque jour et sans cesse.
J’y travaille d’une façon très curieuse, que je m’en vais vous dire : sur un carnet, je note au jour le jour l’état de ce roman dans mon esprit ; oui, c’est une sorte de journal que je tiens, comme on ferait celui d’un enfant… C’est-à-dire qu’au lieu de me contenter de résoudre, à mesure qu’elle se propose, chaque difficulté (et toute œuvre d’art n’est que la somme ou le produit des solutions d’une quantité de menues difficultés successives), chacune de ces difficultés, je l’expose, je l’étudie. Si vous voulez, ce carnet contient la critique de mon roman ; ou mieux : du roman en général.
Songez à l’intérêt qu’aurait pour nous un semblable carnet tenu par Dickens, ou Balzac ; si nous avions le journal de l’Éducation sentimentale, ou des Frères Karamazov ! L’histoire de l’œuvre, de sa gestation ! Mais ce serait passionnant… Plus intéressant que l’œuvre elle-même…
André Gide – Journal des faux-monnayeurs
J’ajoute des autrices aux auteurs, G.Sand, Colette, V.Woolf, J.Austen, etc.

C’est à l’envers que se développe, assez bizarrement, mon roman. C’est-à-dire que je découvre sans cesse que ceci ou cela, qui se passait auparavant, devrait être dit. Les chapitres, ainsi, s’ajoutent, non point les uns après les autres, mais repoussant toujours plus loin celui que je pensais d’abord devoir être le premier.
Ne pas amener trop au premier plan – ou du moins pas trop vite – les personnages les plus importants, mais les reculer, au contraire, les faire attendre. Ne pas les décrire, mais faire en sorte de forcer le lecteur à les imaginer comme il sied.
