Légende amérindienne

La vieille femme cousait dans la lumière magique qui pénétrait son wigwam. Elle travaillait avec art et précision des vêtements chauds. C’était l’été Indien et bientôt l’hiver serait là, aussi aigu que les pointes acérées du porc-épic.

Elle aimait son travail. Et du plus lointain de ses souvenirs, Bouquet de perles étincelantes se voyait s’activant de son mieux, avec toujours le même plaisir, comme sa mère et ses tantes le lui avaient appris. Elle s’occupait du bois et de l’eau en hiver. Elle savait tanner les peaux de bison, en préparer la viande afin de régaler toute la famille.

À six ans, elle aidait les femmes dans les travaux quotidiens.
À dix ans, elle montait à cheval comme le meilleur des guerriers et sillonnait la plaine avec fougue.
À dix-huit ans, devenue une femme, elle avait épousé Feu du tonnerre, et le temps était passé, vite, très vite.

À présent, elle était une vieille femme mais les années avaient glissé sur elle, sans entamer sa force ni sa joie de vivre. Quand elle riait des facéties du dernier de ses petits-fils, sa bouche révélait l’absence de quelques dents. Mais elle était toujours belle.

Sa peau, aussi tannée que la peau d’un bison, avait la couleur du soleil couchant. L’éclat de ses prunelles conservait la vivacité juvénile d’autrefois, et quand elle marchait, c’était d’un pas majestueux, que le poids des ans n’avait pas entravé.  

La tribu racontait que c’était une sage qui possédait la force de l’ours et qu’elle avait reçu la protection du loup blanc, dès son berceau.

Bouquet de perles étincelantes cousait dans le cocon que formait le cercle du wigwam. Et tout en travaillant, elle songeait à son rêve de la nuit dernière. Elle avait rêvé d’un enfant rieur qui gigotait sur une immense fourrure, douce et parfumée, au milieu des herbes jaunes. Ses petits pieds et ses minuscules mains, dorées par le soleil, s’agitaient et se balançaient au gré des frémissements du vent. Il était seul, sans inquiétude. Son regard suivait un instant le vol d’un oiseau, puis il éclatait de rire aux bruissements des feuilles des blancs bouleaux. L’enfant comprenait le langage des arbres et du monde végétal qui l’entourait. La terre était sa mère, le ciel son père. Soudain, le paysage s’obscurcit. Une ombre grise enveloppa l’enfant qui arrêta de rire. Le vent devint violent et la neige couvrit rapidement les plaines et les forêts.

Bouquet de perles étincelantes ne voyait plus l’enfant à présent mais elle l’entendit crier et ce furent ses pleurs qui la réveillèrent, la laissant haletante.

Quel était le message de son rêve ? La vieille indienne l’ignorait.

Bouquet de perles étincelantes, cousait, respectueuse des traditions ancestrales dans le wigwam à l’odeur d’armoise. Les femmes avaient récemment allumé des feux de bois, pour que la couverture, utilisée dans la construction du tipi, conserve sa souplesse après les pluies.

Bouquet de perles étincelantes était plongée dans ses pensées. C’est alors qu’elle entendit des lamentations, dans un coin de son logis. La vieille indienne interrompit son ouvrage et demanda :
– Qui pleure ?
– C’est moi, grand-mère, répondit une petite voix.
La femme leva les yeux et vit une minuscule araignée, nichée au creux de sa toile.
– Pourquoi pleures-tu ? s’enquit-elle, inquiète.
– Je pleure parce que personne ne m’aime. Les hommes ont peur de moi et disent que je suis inutile sur cette terre. Chacun a sa place, sauf moi !

Bouquet de perles étincelantes se leva et observa avec attention le minuscule et fragile animal. Elle ressentit une immense peine pour la malheureuse créature.
– Je ne sais comment t’aider, ni te consoler.
Et tout en lui parlant, la réconfortant avec la mélodie de ses mots, la vieille indienne laissa son regard se promener sur la toile arachnéenne. L’araignée avait tissé un ouvrage d’une perfection remarquable. Nombre de squaws auraient été fières de revendiquer un tel chef-d’œuvre. Un véritable joyau que les rayons du soleil faisaient scintiller. Elle en admira la finesse et la légèreté aérienne. La délicatesse et la beauté de l’ouvrage était digne des broderies et ornements de toutes les femmes du village réunies.

C’est alors que Bouquet de perles étincelantes se rappela son rêve de la nuit précédente, des pleurs de l’enfant.
– Je crois que je peux faire quelque chose pour toi, si le Grand Esprit y consent. Désormais, lorsque tu tisseras ta toile au-dessus du lieu où les enfants dorment, les mauvais rêves y seront emprisonnés. À l’aube, ils seront anéantis par les premiers rayons du soleil. Seuls les beaux rêves peupleront les nuits de nos petits.

Et comme la vieille indienne était une sage, à partir de ce jour, les araignées trouvèrent leur place sur cette terre, au même titre que tous les animaux.
Elles devinrent les gardiennes du sommeil des enfants, capturant leurs proies sans pitié pour les offrir au soleil, aux premières lumières de l’aube.

Bouquet de perles étincelantes cousait paisiblement dans la chaleur de son wigwam, près du feu. L’été des Indiens était terminé à présent. Les grands froids gelaient les lacs scintillant sous le soleil. Parfois, elle songeait à l’enfant de son rêve qui ne pleurait plus et jouait avec le vent. Alors, elle posait son ouvrage et souriait.

Joyeux Noël !