Pourquoi les conifères restent-ils toujours verts ?
Chaque année à l’automne, lorsque les jours deviennent plus courts et le soleil pâlot, de nombreux oiseaux partent pour les pays chauds afin d’y passer l’hiver.
Au printemps, lorsque les températures se font plus douces, ils font le chemin inverse pour vivre un nouvel été.
Les forêts qui comptent le plus d’oiseaux migrateurs sont les forêts du Grand Nord. Là-bas, les hivers sont rudes et le gel est si terrible que les oiseaux peuvent y mourir de faim et de froid.

Il y a bien longtemps, dans une forêt du Grand Nord, vivait un jeune merle. Pendant l’été, il avait grandi, pris des forces, il était devenu robuste, il chantait comme son père, son grand frère, ses oncles et ses cousins.
La veille du grand départ vers le sud, tous les oiseaux participaient au dernier vol d’entraînement, lorsqu’un héron heurta le jeune merle de plein fouet.
— Tu ne peux pas faire attention, abruti ! s’exclama le héron en colère. La colère du héron cachait le fait qu’il se savait en faute.
Notre ami le jeune merle, sonné par le coup, tomba sur le sol comme une feuille d’automne. Son aile le faisait souffrir et elle pendait bizarrement. Il avait terriblement mal.
— Ton aile est cassée, lui dirent les autres merles, forts de leur expérience. Tu ne pourras pas nous accompagner demain, tu te noierais à coup sûr dans la mer et tu ne pourrais affronter les vents. Tu vas être obligé de rester et de passer l’hiver ici. Il faut vite te trouver un abri dans la forêt. Au printemps, nous reviendrons te chercher.

Le jeune merle était effrayé mais il n’avait pas le choix. C’est avec une grande tristesse qu’il regarda ses parents et ses amis s’envoler vers le ciel chaud d’Afrique. Il les regarda longtemps, jusqu’à ce qu’il ne distingue plus qu’un petit point dans le ciel. Le cœur gros et les plumes tristes, il se mit courageusement à la recherche d’un abri. Mais où trouver un coin pour passer l’hiver dans cette grande forêt ?
Il avait marché longtemps lorsqu’il rencontra un vieux chêne imposant.
— Dites-moi, Monsieur le Chêne, puis-je, s’il vous plaît, construire un nid entre vos grandes branches ? Je ne peux pas m’envoler vers les régions chaudes, car je me suis cassé une aile. Ce ne sera que pour cet hiver ! Me le permettez-vous ?
Le chêne baissa la tête avec indignation.
— Ça non alors ! répondit-il d’un air outré. Il n’en est pas question ! Cherche un autre arbre. Si tu as faim cet hiver, tu mangeras tous mes glands et je deviendrais un chêne sans glands dont les autres se moqueraient. Pas question que je fasse ça !
Plus triste encore, le jeune merle partit à la recherche d’un autre arbre. Il arriva bientôt près d’un magnifique bouleau dont les feuilles ondulaient doucement au vent. Il paraissait tellement accueillant, tellement beau et tellement gentil que le merle osa lui adresser la parole.
— Dites-moi, Monsieur le Bouleau, peut-être m’autoriseriez-vous à chercher refuge entre vos branches contre le vent du nord ? Je dois trouver un abri sans quoi, je vais mourir gelé. Ce ne sera que pour cet hiver. Lorsque le printemps reviendra, je chercherai un autre abri, mais mon aile est cassée et je ne peux aller nulle part ailleurs.
Le bouleau haussa les sourcils, plissa profondément le front et très en colère, il répondit en agitant ses branches et en criant :
— N’es-tu pas un peu fou ? dit-il d’un air méprisant. Garder mes propres feuilles me donne déjà suffisamment de travail. J’ai besoin de toutes mes branches. Je ne peux en sacrifier une seule pour te protéger. Cherche donc quelqu’un d’autre !
Le jeune merle s’éloigna tristement. Ses pattes ne le supportaient plus tant son chagrin était devenu lourd à porter. N’y avait-il donc personne dans cette forêt qui l’aiderait à passer l’hiver ?
Il perdait espoir quand soudain, au détour d’un sentier, il aperçut un joli saule aux branches flexibles. Il était sûr que celui-ci allait lui accorder sa protection ! Il sentit l’espoir renaître dans son petit cœur.
— Dites-moi, Monsieur le Saule, m’autoriseriez-vous à nicher durant cet hiver entre vos branches ? Je me suis cassé une aile et je ne peux m’envoler avec les autres oiseaux vers des régions plus chaudes. Je mourrai sûrement de froid si je ne trouve pas d’abri. Me le permettez-vous ? Je vous en prie !
Il leva les yeux d’un air suppliant vers le saule. L’arbre avait le cœur bon mais il ne pouvait l’aider.
— Je suis sincèrement désolé pour toi, dit-il, mais je ne te connais pas. Comment pourrais-je savoir si tu ne creuseras pas des trous dans mes branches en cachette, comme une pie, ou si tu ne mangeras pas mes feuilles ? Adresse-toi plutôt à quelqu’un d’autre. Il y aura peut-être un arbre qui acceptera de prendre un oiseau étranger sous sa protection. Je trouve cela terrible, mais je ne peux pas t’aider.
Fatigué, le merle s’éloigna, bien décidé à ne plus demander protection à personne puisque de toute façon personne ne voulait l’aider. Il erra dans les bois touffus pendant six jours et six nuits, mais tous les arbres avaient eu vent de son histoire par le chêne, le bouleau et le saule et ils détournaient la tête dès qu’ils le voyaient.
Le septième jour, le merle arriva dans une clairière où se tenaient trois arbres les uns à côté des autres : un sapin, un pin et un genévrier.
— Où vas-tu ? demanda le grand pin, étonné. Il y a bien longtemps que tu devrais être dans un pays chaud. Tu vas geler si tu ne pars très vite.
— Je sais bien, répondit tristement le merle. Je me suis cassé une aile et je n’arrive plus à voler. Je cherche désespérément un abri pour l’hiver dans cette forêt, mais personne n’a de place pour moi.
Le sapin, le pin et le genévrier se regardèrent en souriant.
— Si tu veux, tu peux rester auprès de nous, dit le grand pin, chaleureusement. Construis ton nid entre mes branches, je suis suffisamment grand et fort pour te protéger contre tout danger.
— Mes branches sont suffisamment touffues pour arrêter le vent du nord, dit le sapin. Construis ton nid entre ses branches les plus épaisses, mais reste près de moi. De cette manière, tu ne sentiras pas le vent d’hiver.
— Quant à moi, tu pourras te nourrir de mes baies tout l’hiver, ajouta le genévrier. J’en ai suffisamment. Tu pourras t’en rassasier.
Reconnaissant, le merle construisit son nid dans les branches du pin, juste à côté du sapin, comme celui-ci le lui avait proposé. Chaque jour, il pouvait manger des baies de genévrier.
Le merle était heureux avec ses trois bons amis et, de son nid, il leur chantait chaque jour sa chanson la plus mélodieuse en guise de remerciement.
Lorsque le vent du nord arriva, un frisson parcourut la forêt. Le vent souffla d’abord toutes les feuilles du chêne et les fit tourbillonner jusqu’à ce qu’elles forment un tapis sur le sol. Il s’approcha ensuite du bouleau et lui arracha également toutes ses feuilles en riant et en mugissant. Le bouleau résista de toutes ses forces, mais le vent du nord était plus fort que lui. Après son passage, le bouleau resta là, les branches nues, à frissonner de froid. Ce fut ensuite le tour du saule. Le vent du nord tourna autour de lui comme une toupie et chassa toutes ses feuilles une à une.
Il arriva ensuite près du sapin, du pin et du genévrier.
— Ah, ah ! Voilà encore quelques arbres verts, dit le vent en poussant des cris de joie.
— Stop, retentit soudain une voix forte. C’était le roi Hiver qui passait par le bois, la tignasse blanche comme neige et des stalactites pendues à ses mains.
— Laisse ces trois arbres tranquilles, commanda-t-il. Je n’ai pas pitié des autres, mais ces trois-là ont aidé un jeune merle qui demandait de l’aide. Comme récompense, ils pourront rester verts pour toujours.
Le vent du nord jeta un coup d’œil étonné à travers les branches du pin. Il aperçut le petit merle à l’abri dans son nid douillet et fut attendri.
— Vous avez raison ! acquiesça-t-il, ému. je vais les laisser en paix.
Voilà pourquoi, depuis ce jour, tous les pins, sapins et genévriers restent verts, l’hiver comme l’été.
