
Suite de l’article avec Pamela Travers
Écrit-on pour les enfants ?
C’est une disposition que l’on trouve aussi bien chez l’enfant que chez l’adulte. Elle n’a rien à voir avec l’âge.

J’ai reçu la visite d’une journaliste qui m’a raconté avoir lu Mary Poppins à sa fille, mais à voix basse, pour ne pas déranger son mari qui travaillait dans la même pièce. Et soir après soir, avec une irritation croissante, le père s’en était plaint. Il ne voulait pas être dérangé et l’avait suppliée d’arrêter de marmonner. S’il y avait une chose qu’il détestait, avait-il ajouté, c’était bien les marmonnements. Un soir, au bout d’une semaine de ces protestations, il avait pris à part l’enfant alors qu’il s’apprêtait à sortir. « Écoute attentivement, avait-il dit, et tu me raconteras ce qui s’est passé à mon retour. » Il avait suivi toute l’histoire depuis le début.
J’éprouve une certaine affection pour ce père, car une partie de lui m’approuverait si je disais que ce qui est réel l’est pour tout le monde, pas seulement pour les enfants. Et je ne pense pas qu’il me trouverait frivole si je suggérais que le pays mentionné dans Rumpelstiltskin, où le renard et le lièvre se souhaitent bonne nuit, est le lieu que nous cherchons tous, enfants et adultes réunis.
Peut-être cherchons-nous des miracles. Nous ne voulons pas que le renard mange le lièvre mais que les contraires se réconcilient. Voilà à quoi nous aspirons tous, enfants et adultes réunis.

J’espère que vous ne me trouverez pas frivole si je vous dis que ce ne sont pas seulement les enfants mais aussi de nombreux adultes – les illuminés, en quelque sorte – qui se préoccupent en leur for intérieur du sommeil de la « Belle au bois dormant » et espèrent qu’elle se réveillera bientôt.
À l’origine, ni « La Belle au bois dormant » ni Rumpelstiltskin ne furent écrits pour les enfants. D’ailleurs, on peut même affirmer qu’à l’origine, aucun conte fondamental ne fut écrit. Ils naquirent spontanément de l’esprit de nos ancêtres et furent transmis oralement de génération en génération à des auditeurs illettrés de tous les âges.
Il fallut attendre le XIXe siècle pour que des collecteurs commencent à les imprimer et que des enfants les dérobent et se les approprient. Ils appartenaient aux adultes et les enfants se sont contentés de les prendre.
Chaque livre est un message : quand les enfants le reçoivent, ils se l’approprient, peu importe ce qu’en dit l’auteur, peu importe le statut qu’il s’attribue.