De Carole Martinez
Une tragédie, avec toute la désespérance de ces histoires vouées à un destin fatal.
L’histoire en quelques mots :

En 1187, Esclarmonde refuse le mariage arrangé voulu par son père. Elle tourne le dos aux traditions de l’époque, aux convenances de son rang et le jour de ses noces dit non à Lothaire de Montfaucon. Elle ne veut pas être sous les ordres d’un seigneur, d’un maître. Elle demande à vivre une vie de recluse et s’enterre vive dans une cellule de 4 m2 avec une fenestrelle pourvue de barreaux, attenante à la chapelle du château. Le matin juste avant son emmurement, un homme la viole dans la forêt. Esclarmonde se tait et commence sa vie de recluse.
Quelques mois passent et l’enfermée donne inexplicablement naissance à un garçon. Si elle sait que cette conception n’a rien d’immaculé, son entourage, lui, crie au miracle : « Je n’avais pas menti, je m’étais contentée de taire une vérité que personne n’avait envie d’entendre, et mon silence m’avait offert un espace blanc à brader, un vide dont chacun s’était emparé avec délice. » Le monde extérieur la considère comme une sainte. Elle devine les âmes et reçoit les confidences des pèlerins qui viennent à elle ou lui laissent des messages grâce au « réseau des emmurées ».
« Je n’avais jamais tant reçu, tant parlé. » Depuis sa petite fenêtre aménagée dans ce qui ressemble à un tombeau, la jeune fille de 15 ans devient celle par qui le bien arrive, celle qui offre la rémission des péchés et auprès de qui la communauté se purifie.
Cet enfermement est pour elle une évasion. À 15 ans, elle dit non à son père et se soustrait au joug de la condition de femme du XIIe siècle.
Ce qu’elle qualifie de « mort » est pour elle un espace de vie : elle force l’existence à lui offrir une place dans un monde gouverné par les hommes et la religion.
Seulement ce qui semble un temps une forme d’évasion va se révéler insupportable, et le mot tombeau, enterrée vivante, prendra alors toute la dimension de son horreur. Le choix de ses 15 ans lui deviendra insoutenable. « […] un calvaire dont cette pauvre idiote n’avait jamais rêvé », dit-elle en parlant d’elle-même. Elzéar, son enfant, la quitte car il doit vivre une vie normale et bientôt il ne pourra plus passer par la fenestrelle. Puis un clerc se présente au château et lui demande de faire vœu de silence éternel. Son père a tout avoué sur la naissance de son petit-fils avant de mourir. L’église veut la condamner, veut encore plus, elle veut coudre la bouche pour s’assurer le secret de la naissance de l’enfant.
« Comment pouvait-on me mutiler ainsi ? J’avais choisi de me clôturer, non de me taire. Cette fois la recluse volontaire se changeait bel et bien en prisonnière et je n’étais plus seulement la captive de la jeune fille de quinze ans qui, n’imaginant son bonheur qu’en Dieu, avait fait ériger cette chapelle, de cette naïve damoiselle des Murmures persuadée de gagner la béatitude et la liberté en s’emmurant vivante, d’une innocente qui ne savait encore rien du monde et ignorait à quel point un être peut changer. »
Il y aura bien une femme, magnifique, pleine de vie, une véritable alliée qui lui proposera de l’aider. Bérangère, lui dira que rien n’est encore impossible, qu’elle peut sortir de son tombeau, qu’un mur est destructible. Comme on l’aime cette Bérangère, on a envie de l’aider, on a envie de lui trouver des marteaux , des outils efficaces pour enfin détruire cette tombe et libérer la recluse qui ne supporte plus sa condition et se rend enfin compte de l’abomination de son choix. Mais il y a la parole donnée. Elle lui propose alors d’être son émissaire et d’aller voir le pape à Rome pour qu’il la libère de son vœu. Car lui seul peut rouvrir dignement son sépulcre. Mais c’est sans compter sur les villageois rassurés par la présence d’une sainte à proximité, sur ces pèlerins qui ont besoin de se libérer de leurs péchés, Esclarmonde est leur garantie pour le paradis.
« Que deviendraient-ils si la recluse revenait sur sa parole ? »
J’ignorais qu’il arrivait que le menu peuple, aveuglé par la terreur, commît des meurtres pour qu’un saint ne quittât pas son pays.
Origine et étymologie de ESCLARMONDE:
Esclarmonde est un prénom féminin issu de l’occitan esclarmonda, c’est-a-dire « éclaire le monde ». Ce prénom fut très répandu jusqu’à la fin du Moyen Âge dans toutes les régions d’Europe grâce à la chanson de geste Huon de Bordeaux dans laquelle le héros, protégé par le nain Obéron, réussit à conquérir Esclarmonde. Il est aujourd’hui assez rare.
Esclarmonde célèbres : Esclarmonde de Foix, et plusieurs autres Parfaites du catharisme.
Un conte médiéval, un souffle épique
Mon avis de lectrice

Une belle écriture, un beau souffle, le livre se lit facilement et nous emporte rapidement à cette époque lointaine du Moyen âge. Il nous donne une vision de ce moment de l’histoire, juste (bien documenté) et sans grande envie d’y retourner. Le sujet est intéressant, la condition des femmes de cette époque, la place imposante de la religion. Si l’auteure ne s’était pas lancé dans la surenchère aux souffrances elle aurait pu ravir totalement mes heures de lecture.
C ‘est une tragédie, avec toute la désespérance de ces histoires vouées à un destin fatal. À travers le choix de l’emmurement, Esclarmonde va vivre une vie de recluse. Prisonnière à vie mais sans les régulières sorties et déplacements accordés à des prisonniers entre guillemets normaux. Un choix extrême, insupportable pour le commun des mortels. À travers cet état d’enfermement volontaire il y avait déjà beaucoup à dire. Pourquoi surenchérir avec le supplice de l’enfant, le viol, le vœu de silence. Vous me direz cela aurait fait un autre livre, et ces choix apportent des questions et une évolution au personnage. Cela lui permet de se rendre compte de l’horreur de son choix. C’est vrai, mais tout ce vocabulaire autour de la souffrance, de la douleur, de l’horreur, éveille chez moi une sorte de rejet. C’est un univers beaucoup trop sombre.

Notre époque aime particulièrement les univers sombres et torturés que ce soit au cinéma, à la télévision ou dans les livres. Je recherche autre chose dans les pages d’un livre. Je ne dis pas non plus que je ne désire lire que des livres qui se passeraient au pays des Bisnounours, un pays féerique, une histoire sans danger ne sont fidèles à aucun monde … cependant …
Ce genre de lecture ne m’apporte rien, ne m’ouvre aucune fenêtre, ne répond à aucune de mes questions, ne me fait ni rêver, ni voyager. Mon avis ne concerne bien sûr que moi, ce livre a eu de nombreux prix, il ne sera pas en danger avec mes mots. Je sais de par mes efforts pour trouver quelque chose à lire, que mes goûts ne sont pas communs, ce n’est ni orgueil, ni sentiment de supériorité de ma part, c’est juste un constat.
Dans la lecture je cherche l’évasion, je cherche à m’échapper du goût pour le morbide de notre civilisation, je cherche l’ouverture, des aspirations nouvelles, des notes d’espoir.
Ceci est mon avis de lectrice, à un âge de la vie plus avancé que celui d’Esclarmonde et des collégiens qui l’ont beaucoup apprécié. Peut-être qu’à 15 ans j’y aurais trouvé des réponses, j’aurais vu le Moyen Âge sous un autre regard que celui des historiens classiques. À travers une histoire tout est plus clair. Tout semble plus vrai. J’aurais compris le danger des religions, le danger des choix extrêmes à un âge où on est en perpétuel changement et sous influence.
Ceci pour dire que c’est un bon livre, bien écrit, sensible, extrêmement dramatique. Et qu’il porte sur des questions et des réflexions intéressantes et profondes. Mais aujourd’hui je cherche autre chose dans la lecture et après des journées remplies de famille et de travail, cernée par des actualités toutes plus sombres les unes que les autres, je cherche des livres porteurs de lumière, même si dans leur contenu il peut y avoir des passages difficiles. Il faut que le fond porte de la lumière.
Échange sur le livre avec Sido

Sido — Un livre inoubliable…
Marie — C’est vrai, difficile d’oublier un tel destin. Carole Martinez est une raconteuse d’histoire et nous emporte très vite aux cotés d’Esclarmonde. Cependant c’est un univers très sombre pour lequel je ne développe pas une grande affinité en ce moment. Même si en effet c’est une incroyable histoire, très bien écrite, j’ai envie de lire autre chose. Il y a des jours comme ci et d’autres comme ça … j’ai envie de sourire avant de m’endormir.
Sido — Je comprends, c’est très oppressant. Je me souviens l’avoir lu d’une traite, ainsi j’ai évité à l’angoisse de trop s’immiscer…
Marie — C’est peut-être une bonne façon de la lire. La lecture en soirée, (ce rendez-vous quotidien du soir), dans cet univers sombre et pesant, après une journée parfois difficile m’a été à certains moments indigeste. C’est une histoire qui ne laisse pas indifférent, l’extrémisme de la religion, le peu de choix des femmes, les guerres et les violences… tout un pan de notre civilisation. Qui n’est d’ailleurs pas encore totalement révolu, même s’il se vit autrement. Ce qui m’a parfois gêné c’est la surenchère aux violences, à la noirceur, certains passages auraient pu être évités ou traités autrement. Mais heureusement on a le droit de sauter des pages, le droit de ne pas finir un livre … (*Daniel Pennac).
Sido — Je suis entièrement d’accord avec vous. C’est un peu le travers du style d’aujourd’hui, beaucoup de livres sont pressentis pour devenir des scénarios de cinéma et doivent répondre à certains critères. Cette histoire c’est le symbole de « l’enfermement » de la femme, dans un sens propre et figuré, en tant que femme on vit dans une tour, murée ou non, psychologique, conscient ou inconscient. Beaucoup de femmes doivent se battre au quotidien pour passer outre des murs visibles ou invisibles…souvent impalpables, mais réels. C’est le livre de la dignité et du Courage, de la douleur physique et morale anesthésiée, soulagée par la croyance en quelque chose de plus grand que soi. Mais loin de moi l’idée d’une supériorité quelconque de la femme. Et Pennac a tout à fait raison ! C’est un homme que je respecte profondément. Il y a un livre que j’ai trouvé insoutenable ainsi, c’est Les Bienveillantes de J.Littell. Je ne suis pas allée au-delà des 20 ou 30 premières pages. Intéressant de savoir la limite entre ce qui est descriptible ou pas. Vaste débat.
Réflexion autour de l’univers du livre
« Du Domaine des Murmures » de Carole Martinez, professeur de Français a eu le prix des Collégiens. Pour comprendre l’engouement des jeunes pour le livre, j’ai lu des critiques et écouté divers vidéos avec l’auteure. J’ai entendu dire qu’au départ il était passé inaperçu (c’est assez facile dans le flot des nouveautés quotidiennes qui s’amoncellent sur les tables des libraires) et que grâce aux avis de libraires enthousiastes il avait eu droit à une nouvelle couverture flambante rouge et à une bande concernant ses nombreux prix littéraires. Donc avant le prix des Collégiens il a eu la faveur des libraires, des adultes. Deuxième couverture, deuxième édition, succès. Cette anecdote m’interroge sur le pourquoi et le comment des succès de librairies, des mises en avant de certains livres. Cette interrogation n’a pas un rapport particulier à cette lecture, c’est une question que je me pose devant les livres mis en avant sur les tables des librairies.
Sommes-nous totalement libres de nos choix de lecture ?
+ (cette réflexion n’a pas de rapport direct avec le livre ci-dessus qui est écrit par une auteure Française, c’est un questionnement personnel)
Le choix des Éditeurs
? […] C’est ainsi, nos éditeurs ont choisi de prendre ailleurs ce qu’ils ont pourtant sous la main ! Ici des milliers d’auteurs sont ignorés. Disons le tout haut, un auteur sans relation ne peut pas être pris dans une grande maison d’édition. Quant au mythe du manuscrit arrivé par la poste et publié chez un gros éditeur, cela relève du conte de fées comme de gagner à l’Euro millions.
Bien entendu, on ne fera pas un esclandre à propos de Philippe Picquier, un éditeur qui a choisi de faire découvrir l’Asie au public français. Mais pour les autres, il y a de quoi être irrité. Voyez-vous, en France on traduit tout, et ailleurs, notamment chez les Anglo-Saxons, quasiment rien. À l’exception de l’Italie qui aime bien les auteurs français et à qui nous rendons mal la pareille, la littérature française est devenue marginale dans le monde. D’une prétendue supériorité nous sommes à présent tombés dans un autre postulatum, nous voilà à renier notre importance révolue et pire encore, notre futur. Nos propres éditeurs émettent une sentence dédaigneuse contre les auteurs français. Tous occupés à leur mercantilisme, ils rejettent leurs compatriotes en méprisant leurs œuvres, ils passent ainsi à côté d’une chose essentielle, la préservation de la littérature française.
Article du BibliObS
En France les éditeurs se passionnent pour la vie de nos politiques. Il suffit de pénétrer dans la plupart des librairies pour le voir.
Exemple : Le livre de Cécilia Attias ?
Est-elle passée par un comité de lecture comme tout auteur édité dans une grande maison d’édition ?
En tout cas la télévision ne manque pas de lui faire un maximum de publicité. Il paraît qu’elle arrive au top des ventes. Soit sa plume est remarquable, soit notre société est assoiffée des potins de nos dirigeants. Je n’ai pas la réponse … juste une question :
Qu’est-ce qu’être auteur aujourd’hui en France ?
Bonjour Marie an avel.
J’ai eu le même ressenti que toi dès les premières pages. Sans doute, plus jeune, j’aurais aussi beaucoup apprécié, mais je n’ai pas pu avancer aussi loin que toi. « Dans la lecture (moi aussi…) je cherche l’évasion, je cherche à m’échapper du goût pour le morbide de notre civilisation, je cherche l’ouverture, des aspirations nouvelles, des notes d’espoir. »
Merci pour ta chronique complète ! 🙂
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